Annexe 1. Évaluation diagnostic et prérequis⚓
Annexes 2. Documents pour l’établissement d’une chronologie des années 1789-1791⚓
Annexe 2.1. Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, 26 août 1789⚓
Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'Homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.
En conséquence, l'Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Etre suprême, les droits suivants de l'Homme et du Citoyen.
Art. 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.
Art. 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression.
Art. 3. Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.
Art. 4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.
Art. 5. La Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.
Art. 6. La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.
Art. 7. Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance.
Art. 8. La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.
Art. 9. Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.
Art. 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi.
Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.
Art. 12. La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.
Art. 13. Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.
Art. 14. Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.
Art. 15. La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration.
Art. 16. Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.
Art. 17. La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité.
Annexe 2.2. Décret de l'Assemblée générale de la partie Françoise de Saint-Domingue, rendu à l'unanimité, en sa séance⚓
Bases constitutionnelles de Saint-Domingue
L’assemblée générale considérant que les droits de la partie Françoise de Saint-Domingue, pour avoir été longtemps méconnus et oubliés, n’en sont pas moins demeurés dans toute leur intégrité ;
Considérant que l’époque d’une régénération générale dans l’empire françois est la seule où l’on puisse déterminer, d’une manière juste et invariable, tous ses droits, dont les uns sont particuliers et les autres relatifs ;
Considérant que le droit de statuer sur son régime intérieur appartient essentiellement et nécessairement à la partie françoise de Saint-Domingue, trop peu connue de la France dont elle est séparée par un immense intervalle ;
Considérant que les représentants de Saint-Domingue ne peuvent renoncer à ce droit imprescriptible sans manquer à leur devoir le plus sacré, qui est de procurer à leurs constituants des loix sages et bienfaisantes ;
Considérant que de telles loix ne peuvent être faites qu’au sein même de cette isle ; d’abord en raison de la différence du climat, du genre de population, des mœurs et des habitudes, et ensuite parceque ceux-là seulement qui ont intérêt à la loi peuvent la délibérer et la consentir ;
Considérant que l’assemblée nationale ne pourroit décréter les loix concernant le régime intérieur de Saint-Domingue sans renverser les principes qu’elle a consacrés par ses premiers décrets, et notamment par sa déclaration des droits de l’homme ;
[…] Après en avoir délibéré dans ses séances des 22, 26, 27, et dans celle de ce jour, a décrété á l’unanimité et décrété ce qui suit :
Article premier. Le pouvoir législatif, en ce qui concerne le régime intérieur de Saint-Domingue, réside dans l’assemblée de ses représentants, constitués en l’assemblée générale de la partie françoise de Saint-Domingue.
Art. II. Aucun acte de corps législatif, en ce qui concerne le régime intérieur, ne pourra être considéré comme loi définitive s’il n’est fait par les représentants de la partie françoise de Saint-Domingue, librement et légalement élus, et s’il n’est sanctionné par le roi.
[…]
Art. VI. La loi devant être le résultat du consentement de tous ceux pour qui elle est faite, la partie françoise de Saint-Domingue proposera ses plans concernant les rapports commerciaux et autres rapports communs ; et les décrets qui seront rendus à cet égard par l’assemblée nationale, ne seront exécutés dans la partie françoise de Saint-Domingue que lorsqu’ils auront été consentis par l’assemblée générale de ses représentants.
[…]
Art. X. L’assemblée générale décrète que les articles ci-dessus, comme faisant partie de la constitution de la partie françoise de Saint-Domingue, seront incessamment envoyés en France pour être présentés á l’acceptation de l’assemblée nationale et du roi ; seront en outre envoyés à toutes les paroisses et districts de la partie françoise de Saint-Domingue.
Seront au surplus lesdits articles notifiés au gouverneur général.
Source : 28 mai 1790 [Gallica].
Annexe 2.3. « Lettres. N° 1. Lettre de mon frère, François Raimond, D’Aquin à Saint-Domingue, du 1er octobre 1789 »⚓
« Aux mots d'opprimés et d'humanité, les troubles de la France sont donc parvenus jusqu'ici, les blancs ont arboré la cocarde, cela n'a pas été, comme vous imaginez, sans quelques troubles et du sang répandu entr'eux(1), tout est dans l'ordre mais le plus terrible sont les noirs, qui entendant que la cocarde est pour la liberté et l'égalité, ont voulu se soulever, On en a conduit plusieurs à l'échafaut dans les grands quartiers, cela a tout appaisé, Grand Dieu ! faut-il que notre intérêt nous force de soutenir la mauvaise cause, et d'applaudir aux actes d'inhumanité exercés envers ces malheureux ?
Nous avons adressé un mémoire à M. Necker ; outre la lettre que nous avons écrite, nous vous recommandons de le voir, et de tonner aux états-généraux, en disant que nous n'y avons pas de députés, et que tout ce que pourroient demander les députés blancs, ne doit pas faire loi pour nous, attendu qu’'il y a dans Saint-Domingue deux classes bien connues, les blancs et les gens de couleur ; il faut leur rompre en visière, puisqu'ils ont porté le mépris jusqu'à ce point.
Dans une nouvelle constitution, chaque classe doit avoir ses représentans, sans quoi la classe qui n'a pas eu des représentans est censée n'avoir pas consenti à ces loix […] Tous les blancs craignent dans ce moment que les gens de couleur ne se mettent à la tête des noirs, pour les faire révolter ; ce n'est pas leur sentiment, il s'en faut bien, mais les blancs cherchent cela en voulant trop tenir cette classe dans l'avilissement et les rapprocher des noirs. »
(1) Voilà une preuve de ce que j'ai dit dans tout ce que j'ai écrit sur les colonies, que les premiers troubles de la colonie ont commencé par les blancs, qu'ils ont été les premiers à verser le sang entr'eux, et, que leur impolitique et leur peu de précaution avoient donné lieu à des mouvemens parmi les esclaves.
in Correspondance de Julien Raimond, avec ses frères, de Saint-Domingue, Et les pièces qui lui ont été adressées par eux, Paris, Imprimerie du Cercle Social, an II (1793), pp. 3-4.
Annexe 2.4. Garran-Coulon Jean-Philippe, Rapport sur les troubles de Saint-Domingue⚓
« Un membre même de la députation de St-Domingue, qui paroit le mieux avoir suivi les vues de l’assemblée coloniale, Cocherel, à qui cette assemblée adressa particulièrement ses bases constitutionnelles pour les présenter à l’acceptation de la France, et qui, après s’être soumis le premier aux ordres qui lui défendoient de continuer à siéger dans L’Assemblée nationale, n’est retourné depuis à Saint-Domingue que pour contribuer à livrer cette colonie à l’Angleterre, a eu l’audace de faire les mêmes aveux à l’Assemblée constituante ; il prétendoit que la France avait le droit de renoncer à Saint-Domingue, afin d’établir la réciprocité pour cette colonie. « Saint-Domingue, disoit-il, connu jusqu’aujourd’hui sous la fausse dénomination de colonie, n’en est pas une : c’est une contrée qui s’est toujours regie en pays d’Etats par les Lois qui lui sont propres. Sa dénomination de colonie n’est consacrée que par l’usage, et non par le droit, seul imprescriptible…… Si Saint-Domingue n’est pas une colonie française, elle est encore bien moins une province française…… Saint-Domingue ne peut conséquemment être considérée que comme une province mixte et la seule dénomination qui lui convienne est celle de province franco-américaine. A ce titre elle doit avoir une constitution mixte, composée de la constitution de la France, à qui elle appartient par droit de donation, et d’une constitution particulière et nécessaire à sa position, qui ne peut être réglée et déterminée que par les seuls habitants de Saint-Domingue […] »,
Source : Paris, Imprimerie nationale, 1797, t. 1, pp. 149-150.
Annexe 2.5. Cahier des citoyens libres et propriétaires de couleur⚓
CAHIER, Contenant les Plaintes, Doléances & Réclamations des Citoyens-libres & Propriétaires de Couleur, des Isles & Colonies Françoises
ARTICLE PREMIER.
Les Habitans des Colonies Francoises, sont uniquement & généralement répartis & divisés en deux classes, celle d'hommes libres, & celle d'hommes qui sont nés & qui vivent dans l'esclavage.
II.
La classe d'hommes libres comprend non-seulement tous les Blancs, mais encore tous les Créoles de Couleur, soit Nègres libres, Mulâtres, Quarterons, & autres.
III
Les Créoles affranchis, ainsi que leurs enfans & leur postérité doivent jouir des mêmes droits, rangs, prérogatives, franchises, privilèges, que les autres Colons.
IV.
A cet effet, les Créoles de Couleur demandent que la Déclaration des droits de l'homme, arrêtée dans l'Assemblée Nationale, leur soit commune avec les Blancs ; en conséquence que les Articles LVII & LIX (1) de l'Edit du mois de Mars 1685, soient renouvellés & exécutés suivant leur forme & teneur.
[…] VI
En conséquence l'Assemblée Nationale sera suppliée de déclarer,
1° Que les Nègres & les Créoles de Couleur seront admis concurremment avec les Blancs, à tous les rangs, places, charges, dignités, honneurs, en un mot qu'ils partageront avec les Blancs les fonctions pénibles 8c honorables du Gouvernement Civil & du service Militaire ;
[…] XXX
Enfin, l'Assemblée-Nationale sera suppliée d'admettre, dans son sein, les Députés que les Citoyens-Libres de Couleur, se proposent d'élire ; & d'ordonner, qu'à l'avenir, les Blancs, confondus avec les Citoyens-Libres de Couleur, concoureront dans les Assemblées Elémentaires, Municipales & Coloniales, tant pour l'Aministration des intérêts communs, que pour la Nomination de leurs Représentans.
Rédigé & lu, dans les Assemblées des 3, 8, 1 2 & 22 Septembre 1789.
Signé, FLEURY, AUDIGER, LA FOURCADE, DU SOUCHET, l’ainé, OGé, jeune, DE VAURéal, LE CHEVALIER DE L’AVIT, LANON, HELLOT, HONOré, POIZAT, & LA SOURCE, Commissaires. DE JOLY, Président. ROLLAND-AUDIGER, POIZAT, Secrétaires.
(1) Art. 59 de la Déclaration de 1685 ; « Octroyons aux Affranchis les mêmes droits, Privilèges & immunités, dont jouissent les Personnes nées libres ; voulons qu'ils méritent une Liberté acquise, & qu'elle produise en eux, tant pour leurs personnes que pour leurs biens, les mêmes effets que le bonheur de la Liberté nature le cause à nos Sujets. »
Source : septembre 1789, in Moreau de Saint-Méry Louis-Élie, Recueils de pièces imprimées concernant les colonies [1789, Traite des Noirs, Saint Domingue, approvisionnement, commerce des farines], 1789, Archives nationales d'outre-mer (France), pp. 212-227 [téléchargeable sur Gallica].
Annexe 2.6. Jean-Baptiste Lesueur, « […] Homme de couleur, Députés des Colonies, à la Convention Nationale. […] »⚓
Source : entre 1789 et 1798, détail de la « 8eme feuille », dimension de la feuille entière 40 cm X 56,8 cm, Musée Carnavalet, Histoire de Paris, Numéro d’inventaire : D.16616, Creative Commons Zero (CCØ) licence [https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/representant-du-peuple-en-mission-deputes-h-g-riqueti-comte-de-mirabeau#infos-principales].
Annexes 3. Les premières insurrections⚓
Annexes 3.1. Décret du 8 mars 1790⚓
Décret.
L’Assemblée nationale, délibérant sur les adresses et pétitions des villes de commerce et de manufacture, sur les pièces nouvellement arrivées de Saint-Domingue et de la Martinique, à elle adressées par le ministre de la marine, et sur les représentations des députés des colonies,
Déclare que, considérant les colonies comme une partie de l'empire français, et désirant les faire jouir des fruits de l'heureuse régénération qui s'y est opérée, elle n'a jamais entendu les comprendre dans la constitution qu'elle a décrétée pour le royaume, et les assujettir à des lois qui pourraient être incompatibles avec leurs convenances locales et particulières.
En conséquence, elle a décrété et décrète ce qui suit :
Art. 1er Chaque colonie est autorisée à faire connaître son vœu sur la constitution, la législation et l'administration qui conviennent à la prospérité et au bonheur de ses habitants, à la charge de se conformer aux principes généraux qui lient les colonies à la métropole, et qui assurent la conservation de leurs intérêts respectifs.
Art. 2. Dans les colonies où il existe des assemblées coloniales, librement élues par les citoyens, et avouées par eux, ces assemblées seront admises à exprimer le vœu de la colonie ; dans celles où il n'existe pas d'assemblées semblables, il en sera formé incessamment pour remplir les mêmes fonctions.
Source : Assemblée nationale constituante (1789-1791), Archives parlementaires de 1787 à 1860, Assemblée nationale constituante, Tome XII, Du 2 mars au 4 avril 1790, impr. par ordre du Sénat et de la Chambre des députés ; sous la dir. de M. J. Mavidal,... et de M. E. Laurent,...., Paris, Société d'imprimerie et librairie administratives et des chemins de fer Paul Dupont, 1881, tome XII, p. 72 [téléchargeable sur Gallica].
Annexes 3.2. « Instruction adressée par l'Assemblée nationale à la colonie de Saint-Domingue, à laquelle sont annexées les petites îles de la Tortue, la Gonave et l’île à Vaches »⚓
Art. 1er.
Le décret de l'Assemblée nationale sur les colonies, du 8 de ce mois, et la présente instruction ayant été envoyés du roi au gouverneur de la colonie de Saint-Domingue, ce gouverneur sera tenu, aussitôt après leur réception, de les communiquer à l’assemblée coloniale, s'il en existe une déjà formée ; de les notifier également aux assemblées provinciales et d'en donner la connaissance légale et authentique aux habitants de la colonie, en les faisant proclamer et afficher dans toutes les paroisses.
[…]
4° Immédiatement après la proclamation et l'affiche du décret et de l’instruction dans chaque paroisse, toutes les personnes âgées de 25 ans accomplis, propriétaires d’immeubles, ou, à défaut d'une telle propriété, domiciliées dans la paroisse depuis 2 ans, et payant une contribution, se réuniront pour former l’assemblée paroissiale.
Source : Assemblée nationale constituante (1789-1791), Archives parlementaires de 1787 à 1860, Assemblée nationale constituante, Tome XXXI, Du 17 septembre au 30 septembre 1791, impr. par ordre du Sénat et de la Chambre des députés ; sous la dir. de M. J. Mavidal,... et de M. E. Laurent,.... Paris, Société d'imprimerie et librairie administratives et des chemins de fer Paul Dupont, 1888, tome XXXI, pp. 728 et 732-733 [téléchargeable sur Gallica ; voir aussi https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1888_num_31_1_12876_t1_0728_0000_1].
Annexes 3.3. Verneuil [rapport sur l’insurrection d’Ogé]⚓
Verneuil : Je vais continuer : ce que je vais dire est un fait qui m'est personnel. Dans la nuit du jeudi au vendredi, 28 octobre 1790, 250 à 300 hommes de couleur, commandés par Ogé, se transportèrent dans les hauteurs du bourg de la Grande-Rivière, pour y désarmer les habitans ; […] Ogé se présenta chez le citoyen Laroque, escorté de 250 à 300 hommes à cheval, & armés, l'épée nue à la main : en entrant il nous déclara que nous étions ses prisonniers. Je lui demandai quels étoient ses ordres : Ogé me montre sa troupe ; il n'y avoit rien à répondre à cet argument, il étoit irrésistible. Je tachai de prendre Ogé en particulier ; j'y réussis : je lui fis des remontrances sur sa démarche ; il convint qu'elle pouvoit conduire à de grands maux dans la colonie ; mais cependant il persista, & pour lors se décida à nous désarmer. […] Enfin, c'est lorsque je fus arrêté que j'appris de la bouche d'Ogé qu'il venoit d'arriver de France ; qu'il étoit commandant de Saint-Domingue ; qu'une révolte générale alloit avoir lieu dans la colonie, & que s'il ne s'étoit pas amusé à désarmer les hommes des montagnes, la ville du Cap seroit à sa disposition. Je lui fis remarquer que ce qu'il avançoit étoit ridicule, puisqu'il n'ignoroit pas que la ville du Cap au premier signal fournissoit dix mille hommes fous les armes ; il me répondit à cela : Vous ignorez quelles sont nos ressources ; vous ignorez qu'en France, comme ici, nous avons la protection des hommes qui ont du pouvoir : ceux qui ont de la prépondérance dans l'Assemblée nationale nous sont entièrement dévoués, & je n'hésite pas à vous nommer Lafayette, Barnave, Lameth, Brissot, Claviere, Grégoire, & bien d'autres dont je ne me rappelle pas les noms : il m'assura que si leurs forces jointes à celles qu'il avoit déjà ramassées étoient insuffisantes, il en auroit bientôt d'autres ; qu'il alloit avoir à fa disposition deux frégates, des troupes de débarquement ; & il ajouta ensuite que si ces troupes encore étoient insuffisantes, il feroit soulever les ateliers. Je lui représentai que cette mesure n'étoit pas pour eux sans inconvénient ; qu'ils n'ignoroient pas la haine implacable que leur portoient les nègres, & que s'ils les faisoient soulever, tôt ou tard ils en seroient impitoyablement massacrés : il convint de cette vérité ; mais n'en persista pas moins dans son projet.
Source : Débats entre les accusateurs et les accusés, dans l’affaire des colonies, imprimés en exécution de la loi du 4 pluviôse, Paris, Imprimerie nationale , an III [1795], tome I Première livraison, pp. 252-254 (téléchargeable sur Manioc).
Annexes 3.4. « Arrivée du jeune mulâtre Vincent Ogé au Cap (St Domingue) brandissant l'étendard de la Liberté, le 12 octobre 1790 »⚓
« Le jeune Ogé, voyant que la Convention nationale ne voulait pas reconnaître les droits civils de ses compatriotes, s’embarque pour l’Angleterre, d’où il fait voile pour les États-Unis et, après un long détour, il arrive au Cap le 12 octobre 1790. Son frère Chavanne et d’autres amis viennent à sa rencontre, il se met à leur tête, et, le premier, il déploie l’étendard de la liberté ».
Source : François Grenier de Saint-Martin (graveur) et de Villain (lithographe) « Arrivée du jeune mulâtre Vincent Ogé au Cap (St Domingue) brandissant l'étendard de la Liberté, le 12 octobre 1790 », 1822, Bibliothèque nationale de France, Cabinet des Estampes, POP : la plateforme ouverte du patrimoine, Base Joconde [https://musee-aquitaine.opacweb.fr/fr/notice/2003-4-337-arrivee-du-jeune-mulatre-vincent-oge-au-cap-st-domingue-brandissant-l-etendard-de-la-liberte-le-12-octobre-1790-f44ac502-20d8-4704-9a9d-9245cc3d0905]. Pour une analyse de cette estampe, voir Bernard Gainot, « Celui qui t’enlèvera ce fusil voudra te rendre esclave. » : la circulation des armes en contexte colonial, Annales historiques de la Révolution français, 2018/3 (n° 393), pages 125 à 150 [https://www.cairn.info/revue-annales-historiques-de-la-revolution-francaise-2018-3-page-125.htm].
Annexes 3.5. Jean-Philippe Garran-Coulon, Rapport sur les troubles de Saint-Domingue, fait au nom de la Commission des Colonies, des Comités de salut public, de législation et de marine, réunis par J. Ph. Garran⚓
Julien Raimond, qui depuis deux ans n’avait, pour ainsi dire, consacré son existence qu’à la défense de leur cause [les hommes libres de couleur], écrivit à l’Assemblée nationale pour demander que si l’on persistait à leur refuser les droits de citoyens, on leur permit du moins d’aller chercher sur une terre plus hospitalière une nouvelle patrie.
Cette lettre fit une grande impression […] Dans la crainte de ne pas mieux réussir sur le fond de la question, en voulant tout exiger, les défenseurs des hommes de couleur se réduisirent à demander que le droit de cité fût accordé à ceux qui seraient nés de père et de mère libres. La question ainsi posée fut décidée en leur faveur par une majorité considérable dans un nouvel appel nominal. Ul fut donc décrété les 13 et 15 mai [1791], « que le corps législatif ne délibérerait jamais sur l’état politique des gens de couleur qui ne seraient pas nés de père et mère libres, sans le vote préalable, libre et spontané des colonies ; que les assemblées coloniales actuellement existantes subsisteraient ; mais que les gens de couleur nés de père et de mère libres, seraient admis dans toutes les assemblées coloniales futures, s’ils avaient d’ailleurs les qualités requises. »
Source : Jean-Philippe Garran-Coulon, Rapport sur les troubles de Saint-Domingue, fait au nom de la Commission des Colonies, des Comités de salut public, de législation et de marine, réunis par J. Ph. Garran, Imprimerie nationale, An VI, Tome 2, chapitre II, § 7, « Décret du 15 mai », pp.87-88.
Annexes 3.6. Gazette nationale ou le Moniteur universel, 16 mai 1791⚓
Source : Gazette nationale ou le Moniteur universel, p. 563 [lisible sur Retronews https://www.retronews.fr/journal/gazette-nationale-ou-le-moniteur-universel/16-mai-1791/149/1301855/3]
Annexes 4. La cérémonie du Bois Caïman⚓
Annexe 4.1. Timbre « La cérémonie du Bois-Caïman du 14 août 1791 », 22 avril 1968⚓
Source : Timbre « La cérémonie du Bois-Caïman du 14 août 1791 », 22 avril 1968, différentes valeurs de 0,50 à 5 gourdes, © 2022 The Haiti Philatelic Society [https://www.haitiphilately.org/finder/stamps.php]. Pour l’analyse du timbre, voir Jeremy D. Popkin, A concise History of the Haitian Revolution, Hoboken, NJ 07030, Second edition, 2022, chapitre 2 « The Uprisings, 1791-1793 », pp. 37 sq.
Annexe 4.2. François Bourgeon, Les Passagers du Vent⚓
Source : François Bourgeon, Les Passagers du Vent - La Petite Fille Bois-Caïman, livre I Tome 06, Paris, Delcourt, 2014 pp. 71-72, planches 65-66
Annexe 4.3. La cérémonie du Bois Caïman, des sources à la vulgate historique, pour l’analyse de ces textes⚓
Voir, entre autres David Patrick Geggus, Haitian Revolutionary Studies, Bloomington, Indiana University Press, 2002, pp. 81-92. Caroline Fick , Haïti : naissance d'une nation. La révolution de Saint-Domingue vue d'en bas, traduction Frantz Voltaire, Paris, Les Perséides Éditions, 2014, chapitre 4 Les esclaves dans le nord, pp. 192-240 et l’Annexe B. « La cérémonie du Bois Caïman et la révolte d’août 1791 », pp. 474-483. Jeremy D. Popkin, A concise History of the Haitian Revolution, Hoboken, NJ 07030, Second edition, 2022, chapitre 2 « The Uprisings, 1791-1793 », pp. 37-42.
Annexe 4.3.1. Antoine Dalmas, Histoire de la révolution de Saint-Domingue, depuis le commencement des troubles, jusqu'à la prise de Jérémie et du Mole St Nicolas par les Anglais, suivie d'un mémoire sur le rétablissement de cette colonie,⚓
Préface.
Cet ouvrage paroît tel exactement que je le composai, aux Etats-Unis d'Amérique, durant l'hiver de 1793 à 1794.
[…]
Ce fut le 20 août 1791 que la révolte des noirs éclata sur une des habitations de M. de Galliffet, nommée la Gossette, par l'assassinat de M. Mossut, qui en étoit le gérant. Les détails suivans sont la substance des dépositions de plusieurs nègres, faites le lendemain devant le sénéchal du Cap, qui se transporta sur les lieux pour informer contre les coupables. On apprit qu'un vieux nègre, appelé Ignace, et, ce qu'il est bon de noter, distingué des autres par l'exemption de toute espèce de travail, par les soins particuliers dont il étoit l’objet, avoit depuis long-temps le secret de la conspiration. Dans une longue conférence qu'il avoit eue, la veille même de la révolte, avec un nègre libre de la Grande -Rivière (l'un des contumaces dans l'affaire d'Ogé), celui-ci lui avoit tenu ce langage : « Le moment de la vengeance ; approche ; demain, dans la nuit, tous les blancs doivent être exterminés. »
[…] Les dispositions de ce plan avoient été arrêtées quelques jours auparavant entre les principaux chefs, sur l'habitation Le Normand, au Morne Rouge [Le 14 août]. Avant de l'exécuter, ils célébrèrent une espèce de fête ou de sacrifice, au milieu d'un terrain boisé et non cultivé de l'habitation Choiseul, appelé le Caïman, où les nègres se réunirent en très-grand nombre. Un cochon entièrement noir, entouré de fétiches, chargé d'offrandes plus bizarres les unes que les autres, fut l'holocauste offert au génie tout-puissant de la race noire. Les cérémonies religieuses que les nègres pratiquèrent en l'égorgeant, l'avidité avec laquelle ils burent son sang, le prix qu'ils mirent à posséder quelques-uns de ses poils, espèce de talisman qui, selon eux, devoit les rendre invulnérables, servent à caractériser l'Africain.
Source : Paris, Mame Frères, 1814, pp. i et 117-119 [téléchargeable sur Gallica].
Annexe 4.3.2. Hérard Dumesle, Voyage dans le Nord d’Haiti, ou, Revelation des lieux et des monuments historiques⚓
Vers le milieu du mois d'août 1791, les cultivateurs, manufacturiers et artisans de plusieurs ateliers se réunirent pendant la nuit, au milieu d'un violent orage dans une forêt épaisse qui couvre le sommet du morne rouge, et là formèrent le plan d'une vaste insurrection qu'ils sanctifièrent par une cérémonie religieuse.
[…]
Parmi les assistans se lève un orateur ;
Il a l'auguste emploi de sacrificateur.
Muni d'un fer sacré, son bras à la victime
Porte le coup fatal, dans l'ardeur qui l'anime.
Elle meurt….. Aussitôt il consulte son flanc...
Délire prophétique ! . . . holocauste de sang ! . . .
Vous dévoilez le sort de la noble entreprise
Qui forme les héros, et les immortalise ! . . . .
Il parle ; et ce langage aimé de nos aïeux,
Ce langage ingénu qui semblait fait pour eux.
Dont les accens naïfs, peinture de leur âme,
Prêtant plus d'onction à ce discours de flamme,
Electrisa les coeurs par un transport nouveau :
,, Ce Dieu qui du soleil alluma le flambeau,
,, Qui soulève les mers et fait gronder l'orage,
,, Ce Dieu, n'en doutez pas , caché dans un nuage
,, Contemple ce pays, voit des blancs les forfaits ;
,, Leur culte engage au crime, et le nôtre aux bienfaits ;
,, Mais la bonté suprême ordonne la vengeance
,, Et guidera nos bras ; forts de son assistance,
,, Foulons aux pieds l'idole avide de nos pleurs.
,, Puissante Liberté ! viens.... parle à tous les cœurs”…
Voici le sens de l'oracle dans l'idiome qu'il a été prononcé
Bondié qui fait soleil, qui clairé nous enhaut
Qui soulévé la mer, qui fait grondé l’orage,
Bon dié la, zot tandé ? caché dans youn nuage,
Et la li gadé nous, li vouai tout ça blancs faits !
Bon dié blancs mandé crime, et part nous vlé bienfèts
mais dié lá qui si bon , ordonnin nous vengeance ;
Li va conduit bras nous, la ba nous assistance,
Jetté portrait dié blancs qui soif dlo dans gié nous,
Couté la liberté li palé coeurs nous tous.
Source : Les Cayes: Imprimerie du Gouvernement, 1824, pp. 85-88.
Annexe 4.3.3. Beaubrun Ardouin, Études sur l’histoire d’Haïti⚓
Trop perspicace pour ne pas entrevoir tout d'abord les chances d'avenir pour sa classe dans une insurrection générale, Toussaint hasarda quelques mots approbateurs du plan projeté [projet de soulèvement d’esclaves], et ajouta que la seule promesse de la franchise de trois jours par semaine et l'abolition de la peine du fouet suffiraient pour soulever les ateliers ; mais aussi, il demanda la liberté des principaux esclaves qui réussiraient à faire agir les autres, pour prix de leur soumission aux volontés bienveillantes de ceux qui daigneraient s'occuper de leur bien-être. Sur l'attestation de Bayon de Libertas, Toussaint obtint la confiance du comité qui lui procura de Blanchelande un sauf-conduit pour le mettre à l'abri de toutes poursuites ultérieures.
Toussaint fit choix de ses plus intimes amis, Jean- François Papillon, Georges Biassou, Boukman Dutty et Jeannot Bullet. Les conjurés se réunirent et se distribuèrent les rôles. Plus rusé que les autres, Jean-François obtint le premier rang, Biassou le second ; et Boukman et Jeannot, plus audacieux, se chargèrent de diriger les premiers mouvements. Toussaint se réserva le rôle d'intermédiaire entre les conjurés et les moteurs secrets de l'insurrection : il ne voulait d'ailleurs se prononcer que lorsqu'il pourrait être assuré du succès de l'entreprise. On fabriqua une fausse gazette qui rapportait que le roi et l'assemblée nationale avaient accordé aux esclaves trois jours par semaine et l'abolition de la peine du fouet ; mais que l'assemblée coloniale et les petits blancs ne voulaient pas exécuter cette loi de la France. Un jeune homme de couleur, candide, fut gagné par Boukman, et donna lecture de celte gazette à des esclaves de la plaine, réunis secrètement, le 14 août, sur l'habitation Lenormand de Mézy, au Morne-Rouge : la majeure partie des esclaves réunis étaient des commandeurs. Boukman annonça à ces conjurés que l'on attendait de nouvelles troupes d'Europe qui venaient pour exécuter les lois de la métropole, et qu'alors les esclaves se soulèveraient afin que celte exécution ne manquât point, et que lui-même donnerait le signal en se soulevant avec l'atelier de l'habitation Turpin dont il était l'un des commandeurs. Cette information donnée de la prochaine arrivée de nouvelles troupes qui devaient agir de concert avec les esclaves, n'était qu'une ruse des chefs de cette fameuse conjuration, ruse inventée pour décider les esclaves : car, ces hommes encore timides redoutaient la force et la puissance de leurs maîtres.
Boukman eut aussi recours à la magique influence du fétichisme. Il conduisit ces hommes crédules au bois nommé Caïman, situé sur cette habitation Lenormand de Mézy : là, une prêtresse plongea le couteau dans les entrailles d'un cochon noir ; la victime bondit, le sang ruissela ; les conjurés en burent avec avidité. A genoux, Boukman prêta le terrible serment de diriger l'entreprise, serment commandé par la prêtresse : les assistants jurèrent après lui, dans la même attitude, de le suivre et d'obéir à ses volontés.
Source : Suivies de la vie du général J.-M. Borgella, Paris, Dezobry et Magdeleine et chez l’auteur [télécargeable sur Gallica], pp. 228-229. Voir aussi la réédition Études sur l’histoire d’Haïti, Port-au-Prince, Dalencour, 1958, tome 1 pp. 50–51 ; Céligny Ardouin, Essais sur l’histoire d’Haïti, Port-au-Prince, T. Bouchereau, 1865, pp. 16-18
Annexe 4.3.4. Garran-Coulon Jean-Philippe, Rapport sur les troubles de Saint-Domingue⚓
Dès le 11 août des nègres mirent le feu à l’habitation Chabaud, située dans la paroisse du Limbé, limitrophe de la plaine du Nord […] Il existe dans les archives des colonies une copie informe de la déclaration faite devant la municipalité du Limbé par François, esclave de Chapotin, l’un de ceux qui avoient mis le feu à une partie de l’habitation Chabaud, & qu’on arrêta la nuit du 20 août. Suivant cette déclaration, que d’autres moins détaillées paroissent confirme, « il s’était tenu, le dimanche 14 août, sur l’habitation Lenormand, au Morne-Rouge, une très-nombreuse assemblée de nègres, composée de deux députés de du Port-Margot, le Limbé, l'Acul, la Petite Anse, Limonade, la Plaine-du Nord, le Quartier-Morin, Le Morne-Rouge, etc., etc. Cette assemblée étoit destinée à fixer le jour de l’insurrection depuis longtemps méditée. On était presque d’accord que le complot auroit lieu la nuit même ; mais les nègres revinrent sur cet arrêté, parce qu’ils firent réflexion qu’un projet conçu dans une après-dinée s’exécuteroit difficilement le soir même ». D’autres mémoires disent que ces députés nègres étoient au nombre de 200, & tous commandeurs d’ateliers. François ajoute, que les papiers publics furent lus aux nègres assemblés par un mulâtre ou un quarteron à lui inconnu, qui leur annonça que le Roi et l’Assemblée nationale leur avoient accordé trois jours par semaine ; que les colons blancs s’y opposoient, et qu’il falloit attendre l’arrivée des troupes qui viendroient faire exécuter ce décret ; que c’étoit bien l’avis du plus grand nombre, mais que les nègres de quelques habitations de l’Acul et du Limbé vouloient à toute force commencer la guerre contre les blancs avant l’arrivée des troupes.
Quoi qu’il en soit, l’insurrection recommença dans la paroisse de l’Acul le 22 août ; et à cette fois, elle devint générale. Les esclaves de l’habitation Turpin et Flaville vinrent chercher, à 10 heures du soir, ceux de l’habitation Clément. Les deux ateliers choisirent pour chefs Boukmans et Auguste, esclaves sur ces deux habitations […]
Le lendemain et les jours suivans, l’insurrection se propagea dans tous les ateliers du voisinage avec l’activité de la flamme que les insurgés portoient dans toutes les habitations et dans tous les champs de canne à sucre, qui faisoient la principale récolte de la colonie. Leur férocité s’augmenta avec leur nombre : dès la matinée du 23, on comptoit 37 propriétaires, procureurs ou raffineurs, d’assassinés. L’incendie se répandit si rapidement, que peu de jours après huit paroisses limitrophes, l’Acul, le Limbé, le Port-Margot, la Petite Anse, le quartier Morin, Limonade, Plaisance et la Plaine du Nord, ne présentoient qu’une terre dévorée par les flammes […]
La consternation fut générale au Cap, sur lequel les insurgés se dirigeoient. Ils étoient, disoit-on, déjà au nombre de 12 à 15,000, dont un tiers avoit des fusils qu’ils avoient pris sur les habitations incendiées ; les autres étoient armés des divers instrumens de leurs travaux. Mais ce nombre, déjà si alarmant, étoit grossi par la frayeur et les rapports exagérés de ceux qui se réfugioient dans la ville : des lettres du temps le portent à 40 et 50,000. Les flammes qui dévoroient la plaine se voyoient de cette ville au milieu du jour comme dans la nuit même ; et cet horrible spectacle qui dura plusieurs mois, ne cessa que lorsque le feu ne trouva plus d’alimens dans la plaine. Plusieurs blancs se réfugièrent dans les îles voisines ; et des lettres du Cap, de cette époque, parloient de faire une retraite générale dans le continent de l’Amérique, et d’abandonner la partie française aux noirs comme on avait abandonné Saint-Vincent aux Caraïbes.
Source : Paris, Imprimerie nationale, 1797, tome 2, pp. 211-215 [téléchargeable sur Gallica].
Annexe 4.3.5. Métral Antoine, Histoire de l'insurrection des esclaves dans le nord de Saint-Domingue,⚓
Suivant la déposition d’un vieux esclave arrêté dans la nuit du 20 août, il y avoit eu le 14 sur l'habitation Lenormand, au Morne Rouge, une assemblée composée de deux députés, par chaque atelier, des paroisses du Port-Margot, du Limbé, de l'Acul, de la Petite-Anse, de Limonade, de la Plaine-du Nord, du Quartier-Morin et de, plusieurs autres lieux (Garran, p. 211, t.2). Les conjurés dévoient y fixer le jour de l'insurrection méditée depuis quelque temps. On rapporte qu'avant d'en exécuter le plan, ils firent un sacrifice sur un terrein vierge et couvert de bois, appelée Le-caïman ; que la victime fut un cochon noir qu'ils entourèrent de fétiches, et chargèrent d'offrandes de diverses espèces ; qu'une jeune prêtresse, vêtue d'une robe blanche, lui plongea le couteau sacré dans les entrailles suivant, les cérémonies accoutumées ; qu'ils burent, avec avidité de son sang, et qu'ils prirent de son poil, espèce de talisman qui devoit les rendre invulnérables dans le combat (Dalmas).
Civique de Gastine Histoire de la Republique d’Haiti ou Saint-Domingue, l’esclavage et les colons (Paris: Plancher, 1819), 104-106.
Source : Paris, F. Scherff, 1818, pp. 15-16 [téléchargeable sur Gallica].
Annexe 4.3.6. Victor Schoelcher, Colonies etrangeres et Haiti⚓
Les esclaves, malgré la profonde dégradation où ils étaient plongés, ne pouvaient rester longtemps étrangers au mouvement qui se produisait au-dessus de leur tête. Les colons parlaient d'indépendance, les petits blancs d’égalité, les mulâtres de droits politiques, les nègres à leur tour parlèrent de liberté.
– Déjà plusieurs d’entr'eux avaient profité du désordre pour s'enfuir. Dans le courant de juillet, quelques ateliers de l'ouest avaient formé des rassemblemens insurrectionnels. La fermentation gagna et augmenta enfin, pendant la nuit du 23 au 24 août, les nègres du nord s'assemblent au fond des épaisses forêts qui couvrent le morne rouge, et, dirigés par Boukmann, un de ces chefs qui sortent toujours des rangs quand les hommes en ont besoin, forment une vaste conjuration. Le discours en vers créoles de Boukmann mérite d'être rapporté. –
C'était une nuit de violent orage, les éclairs sillonnaient le ciel et les échos des mornes retentissaient des éclats de la foudre. Boukmann, fidèle aux superstitions africaines, fait des invocations magiques ; et, comme inspiré de l'Esprit, il prononce cet oracle au milieu de la tempête :
Bon Die qui fait soleil qui claire nous en haut,
Qui souleve la mer, qui fait gronde l'orage ;
Bon Die la zot tende, caché dans youn nuage,
Et la li gade nous, li vouai tout ça blancs fait.
Bon Die blancs mande crime et par nous vle benféts ;
Mais Die la qui si bon, ordonnin nous vengeance ;
Li va condui bras nous, li ba nous assistance.
Jette potrait Die blancs qui soif dlo dans gié nous,
Coute la liberte qui pale coeur nous tous1.
Le bon Dieu qui fait le soleil qui nous eclaire d'en haut,
Qui souleve la mer, qui fait gronder l'orage,
Entendez vous, vous autres, le bon Dieu est cache dans un nuage,
Et la il nous regarde et voit tout ce que font les blancs.
Le bon Dieu des blancs commande le crime, par nous il veut des bienfaits !
Mais Dieu, qui est si bon, nous ordonne la vengeance ;
Il va conduire nos bras, nous donner assistance.
Renversez l'image du Dieu des blancs qui fait venir de l'eau dans nos yeux ;
Ecoutez la liberté, elle parle au coeur de nous tous.
Le lendemain, la plaine du Cap est mise en feu aux cris de : Vengeance ! vengeance !
1. M. Herard Dumesle, Voyage au nord d’Haïti, publie a Port au Prince
Source : Paris, Pagnerre, 1843, vol. 2, pp. 98-99 [Téléchargeable sur Gallica].
Annexe 4.3.7. Civique de Gastine, Histoire de la république d’Haïti ou Saint-Domingue, l’esclavage et les colons⚓
Il y avait déjà plusieurs jours que la fermentation chez les esclaves, ainsi que les craintes des colons, allaient croissant, lorsqu'un soir, entre onze heures et minuit, par un temps très-orageux, les chefs du complot d'insurrection se réunirent sur le morne Rouge, pour délibérer sur leur projet.
Rien de plus sinistre que cette réunion nocturne des nègres, dans l'épaisseur d'un bois, que la foudre qui serpentait dans les nues éclairait par intervalles. Au bruit du tonnerre succédaient des accords lugubres et plaintifs occasionés par les vents qui soufflaient dans des bambous rompus, qui étaient exposés à leur action. Les nègres, après avoir posté des sentinelles crainte de surprise, formèrent un grand cercle, et s'assirent tous à terre. Ils restèrent quelque temps dans cette attitude, gardant un morne silence, pendant lequel ils semblaient invoquer les divinités infernales....
L'un d'eux cependant prit la parole, et retraça, avec véhémence, la conduite injuste et inhumaine de leurs maîtres envers eux ; il leur vanta beaucoup les délices de l'indépendance et de la liberté dont ils allaient enfin jouir : il fit une comparaison touchante de la servitude dans laquelle ils gémissaient, avec le bonheur dont ils jouissaient dans leurs pays, lorsqu'ils revenaient vainqueurs de la guerre, chargés des trophées et du butin de leurs ennemis. Ce discours arracha des larmes à tous les auditeurs, et enflamma dans leurs cœurs le désir de la vengeance. L'orateur finit par la relation du supplice du général Ogé ; ils firent tous serment de venger sa mort et de périr plutôt que de retourner dans l'esclavage. Ils abjurèrent ensuite la religion de leurs maîtres ; et pour se rendre propices les dieux de leur patrie, ils leur sacrifièrent, et à la mémoire d'Ogé, un jeune bélier tout noir. Celui qui faisait les fonctions de sacrificateur ayant examiné les intestins de la victime, déclara à rassemblée que les dieux leur seraient constamment propices, et que leur entreprise réussirait au gré de leurs souhaits. Il fit jeter, après cela, le bélier dans un brasier ardent, et le feu du ciel éclaira seul cette cérémonie sacrée. Ils allaient se retirer, lorsqu'un oiseau de la grosseur d'un pigeon tomba roide mort de la cime des arbres au milieu de l’assemblée1. Cet événement, auquel ne s'attendait aucun d'eux, fut considéré par leur sacrificateur comme un augure favorable, et leur prêtre l’ayant purifié, en remit une plume à chacun, en leur assurant qu'ils seraient invulnérables tant qu'ils la porteraient sur eux.
1. Cet oiseau, qui était vraisemblablement perché au dessus du brasier que les nègres avaient allumé pour leur sacrifice, se sera trouvé suffoqué par la fumée.
Source : Paris, Plancher, 1819, pp. 104–106 [https://ia600503.us.archive.org/21/items/histoiredelarp00gast/histoiredelarp00gast.pdf].
Annexe 4.3.8. Dantès Bellegarde, Histoire du peuple haïtien (1492-1952)⚓
Dans la nuit du 14 août 1791, au milieu d'une forêt appelée Bois-Caïman, située au Morne-Rouge dans la plaine du Nord, les esclaves tinrent une grande réunion en vue d'arrêter un plan définitif de révolte générale. Ils étaient là environ deux cents commandeurs, délégués des divers ateliers de la région. L'assemblée était présidée par un nègre, Boukman, dont la parole enflammée exalta les conjurés. Avant de se séparer et afin de sceller les engagements pris, on procéda à une cérémonie impressionnante. Il pleuvait avec rage. Tandis que l'orage grondait et que les éclairs sillonnaient le ciel, une négresse de haute stature apparut brusquement au milieu de l'assistance. Elle était armée d'un long couteau pointu, qu'elle faisait tournoyer au-dessus de sa tête, en exécutant une danse macabre et en chantant un air africain, que les autres répétaient en chœur, prosternés la face contre terre. On traîna ensuite devant elle un cochon noir, qu'elle éventra de son couteau. Le sang de l'animal fut recueilli dans une gamelle de bois et servi tout écumant à chaque délégué. Sur un signe de la prêtresse, tous se jetèrent à genoux et jurèrent d'obéir aveuglément aux ordres de Boukman, proclamé le chef suprême de la révolte. Celui-ci déclara s'adjoindre comme principaux lieutenants Jean-François Papillon, Georges Biassou et Jeannot Bullet.
Source :Port-au-Prince, Haïti : Les Éditions Fardin, 1953, réédition 2004, p. 63
Annexe 4.3.9. Jacowick G. (graveur), Insurrection des esclaves noirs de Saint-Domingue (Actuelle République Dominicaine) contre les colons blancs, le 22 août 1791⚓
Source : 71e tableau, planche 5 de la Galerie Historique ou Tableaux des événements de la Révolution française (1795-1799), Estampe entre 1791 et 1796, Musée Carnavalet, Histoire de Paris.
Voir la même estampe en noir et blanc, Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF) [https://photo.rmn.fr/archive/03-013321-2C6NU044JEW2.html].
Pour l’analyse de l’estampe, voir Guillaume Bourel, « La révolte des esclaves à Saint-Domingue, 1791 », L’histoire par l’image, octobre 2021 [https://histoire-image.org/etudes/revolte-esclaves-saint-domingue-1791].
Voir aussi pour les images de la Révolution haïtienne et leur analyse Alejandro E. Gómez, « Images de l’apocalypse des planteurs », L’Ordinaire des Amériques, 215 | 2013, [http://journals.openedition.org/orda/665] ; ainsi que Bernard Gainot, « La révolte des esclaves d’août 1791 à Saint-Domingue », EHNE - Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe [https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/l%E2%80%99europe-et-le-monde/l%E2%80%99europe-et-les-guerres-coloniales/la-r%C3%A9volte-des-esclaves-d%E2%80%99ao%C3%BBt-1791-%C3%A0-saint-domingue].
Voir aussi Marina Bellot, « Écho de presse. 1791 : La grande révolte des esclaves de Saint-Domingue », Retronews. Le site de presse de la BnF, 21/02/2019, [https://www.retronews.fr/colonies/echo-de-presse/2019/02/21/revolte-des-esclaves-de-saint-domingue#] ;
Annexe 4.3.10. Saint-Domingue, Province du Nord. Représentation géographique et chronologique du mouvement insurrectionnel d’esclaves du 22 au 26 août 1791 dans les paroisses de la Plaine du Nord⚓
Source : in Fick Caroline (1990), Haïti : naissance d'une nation. La révolution de Saint-Domingue vue d'en bas, traduit de l’anglais (USA) par Frantz Voltaire, Paris, CIDHICA /, Les Perséides / Université d’État de Haïti, 2014, p. 192.
Annexe 4.3.11. La révolte d’Haïti (1791-1804)⚓
Source : in Manuel Covo, « Saint-Domingue, 1791. La révolte qui ébranla le monde », L'Histoire, n°415, septembre 2015, repris in Christian Grataloup, Atlas historique mondial, Paris, Les Arènes – L’Histoire, 2019, p. 378 [https://www.lhistoire.fr/carte/la-r%C3%A9volte-de-ha%C3%AFti-1791-1804].
Annexe 4.3.12. J.-C. Dorsainville, Manuel d'histoire d'Haïti⚓
Source : Port-au-Prince, Procure des Frères de l'Instruction chrétienne, 1934, p. 101 repris in Jeremy D. Popkin, A concise History of the Haitian Revolution, Hoboken, NJ 07030, Second edition, 2022, p. 65. Voir aussi « Map 4. Approximate distribution of forces in Saint Domingue, April 28, 1794 », in Geggus David Patrick, Haitian Revolutionary Studies, Bloomington, Indiana University Press, 2002, chapitre 8 « The “Volte-Face” of Toussaint Louverture », p. 132.
Annexe 4.3.13. Antoine Dalmas, Histoire de la révolution de Saint-Domingue, depuis le commencement des troubles, jusqu'à la prise de Jérémie et du Mole St Nicolas par les Anglais, suivie d'un mémoire sur le rétablissement de cette colonie⚓
La grandeur, le nombre des établissemens consumés par les flammes offrirent un spectacle dont les témoins conserveront à jamais le souvenir. Le nuage épais de fumée noirâtre, qui dans embrassoit l’horizon du Cap, prit, aussitôt après le coucher du soleil, l’apparence d’une aurore boréale, ayant pour foyer une vingtaine d’habitations changées en autant de volcans. A minuit, le feu qui parut à l’embarcadère de Limonade, annonça l’arrivée des incendiaires dans ce quartier ; et le lendemain, les deux paroisses les plus riches et les plus importantes de la province du nord n’offroient plus qu’un amas de cendres et de ruines.
On n’étoit encore qu’au quatrième jour de la révolte [24 août 1791].
Source : Paris, Mame Frères, 1814, p. 125 [téléchargeable sur Gallica].
Annexe 4.3.14. Gros, Isle de Saint-Domingue, Province du Nord: Précis historique, qui expose dans le plus grand jour les manœuvres contre-révolutionnaires employées contre St. Domingue; qui designe & fait connoître les principaux Agents de tous les massacres, incendies, vols, & dévastations qui s'y sont commis ; le but qu'ils se proposoient en autorisant & faisant exécuter un tissu d'horreurs, dont la seule description fait frémir la nature : Faits qui sont à la connoissance de la Colonie entière ; qui ont acquis toute l'authenticité possible, par la déposition publique du Citoyen Gros, Procureur-Syndic de Valière, prisonnier des Brigands, & confirmée sur les lieux par celle de plusieurs autres Témoins, juridiquement faite⚓
Le 14, nous apprîmes la mort de Bouqueman ; il seroit impossible de dire qu'elle fut l'impression que cette mort fit sur les nègres. Les chefs prirent le deuil & ordonnèrent un service solemnel ; pour nous, spectateurs, souffrans de tout ce qui se passoit, nous étions désolés de cet accident ; le contre-coup devoir nous perdre sans ressources. Déjà nous entendions les discours des nègres; leurs complots criminels avoient de quoi nous effrayer, car il ne s'agissoit de rien moins que de nous assassiner pour venger, disoient ces Cannibales, leur chef, mort pour la plus juste des causes , pour la défense de son roi. Heureusement ces propos, un peu dur à entendre, n'eurent aucun effet ; ils se vengèrent d'une manière moins barbare & même gaie ; ils supposèrent la mort de M. Touzard, & firent en mémoire d'un avantage si marqué, un calinda qui dura trois jours, pendant lequel ils nous faisoient un étalage de leurs exploits, & nous reprochoient notre lâcheté; à les entendre, ils chargeoient des cabrouets de nos têtes, & ils ne perdoient que très-peu de monde. Il falloit tout entendre & ne jamais répondre que par le silence ou des applaudissemens. Ce moyen étoit le seul qui pût prolonger notre pénible existance.
[…]
On fit sentir à Jean-François, dans cette occasion, la nécessité qu'il y avoit de finir les hostilités, & de profiter d'un arrangement avantageux avec les blancs. Les raisons les plus pressantes furent tour-à-tour développées, & ce général nègre, fut d'autant plus disposé à souscrire au vœu des autres chefs libres, qu'il y avoit été disposé parle père Bien-Venu, curé de la Marmelade […]
[…] m'étant émancipé jusqu'au point de lui demander quel étoit le vrai but de guerre qu'il nous faisoit [Jean-François] me répondit avec honnêteté, refusant néanmoins de s'expliquer cathégoriquement ; ce qu'il me dit suffit cependant, pour fixer à jamais mon jugement. Voici ses propres expressions : « Ce n'est pas moi qui me suis institué général des nègres. Ceux qui en avoient le pouvoir m'ont revêtu de ce titre : en prenant les armes, je n'ai jamais prétendu combattre pour la liberté générale, que je sais être une chimère, tant par le besoin que la France a de ses Colonies, que par le danger qu'il y auroit à procurer à des hordes incivilisées, un droit qui leur deviendroit infiniment dangereux, & qui entraîneroit indubitablement l'anéantissement de la colonie; que si les propriétaires avoient été tous sur leurs habitations, la révolution n'auroit peut-être pas eu lieu. Ensuite il se déchaîna beaucoup contre les procureurs & économes ; il vouloir qu'on insérât, comme article fondamental, dans les conventions, qu'il n'en existeroit plus à Saint-Domingue […]
Source : [Paris], Imprimerie de L. Potier de Lille, 1793, p. 17 [téléchargeable sur https://openlibrary.org/].
Annexe 4.3.15. Général Ricard, cité in Gérard Mentor Laurent, Quand les chaînes volent en éclats⚓
Ils se sont établis presque partout sur des mornes, moins élevés et sur les penchants des hautes montagnes pour être plus à portée de leurs incursions dans les plaines et pour se conserver des derrières assurés, en ayant toujours à leur dos des gorges qu’ils connaissent parfaitement et des sommités presque inaccessibles. Ils ont établi des communications entre leurs postes, de manière qu’ils ont pu se secourir mutuellement toutes les fois qu’on les a partiellement attaqués. Ils ont des postes de surveillance et des points de ralliement désignés.
Source : Général Ricard, cité in Gérard Mentor Laurent, Quand les chaînes volent en éclats, Port-au-Prince, Deschamps, 1979, p. 28. Voir aussi la rencontre Jean Dominique - Gérard Laurent autour du livre, 10 janvier 1979, Radio Haiti Archive [https://repository.duke.edu/dc/radiohaiti/RL10059-RR-0168_01].
Annexe 5. Jean-Baptiste Chapuy, Vue de l'incendie de la ville du Cap Français, Arrivée le 21 Juin 1793⚓
Source : Jean-Baptiste Chapuy, Vue de l'incendie de la ville du Cap Français, Arrivée le 21 Juin 1793 [estampe] / Peint d'après nature par J.L. Boquet ; Gravé par J.B. Chapuy. 1794 [téléchargeable sur Gallica].
Annexe 6. « Proclamation relative à l’émancipation générale dans la province du Nord », 29 août 1793⚓
PROCLAMATION.
AU NOM DE LA RÉPUBLIQUE.
Nous LÉGER-FÉLICITÉ SONTHONAX,
Commissaire Civil de la République, délégué aux Îles Françaises de l'Amérique sous le vent, pour y rétablir l'ordre & la tranquillité publique.
LES HOMMES NAISSENT ET DEMEURENT LIBRES ET ÉGAUX EN DROIT :
Voilà, citoyens, l'évangile de la France ; il est plus que temps qu'il soit proclamé dans tous les départemens de la République.
Envoyés par la Nation, en qualité de Commissaires civils à Saint-Domingue, notre mission était d'y faire exécuter la loi du 4 avril, de la faire régner dans toute sa force, & d'y préparer graduellement, sans déchirement et sans secousse, l'affranchissement général des esclaves.
A notre arrivée, nous trouvâmes un schisme épouvantable entre les blancs qui, tous divisés d'intérêt & d'opinion, ne s'accordaient qu'en un seul point, celui de perpétuer à jamais la servitude des nègres, & de proscrire également tout système de liberté et même d'amélioration de leur sort. Pour déjouer les mal-intentionnés et pour rassurer les esprits, tous prévenus par la crainte d'un mouvement subit, nous déclarâmes que nous pensions que l'esclavage était nécessaire à la culture.
Nous disions vrai, citoyens, l'esclavage était alors essentiel, autant à la continuation des travaux qu'à la conservation des colons. Saint-Domingue était encore au pouvoir d'une horde de tyrans féroces qui prêchaient publiquement que la couleur de la peau devait être le signe de la puissance ou de la réprobation ; les juges du malheureux Ogé, les créatures et les membres de ces infâmes commissions prévôtales qui avaient rempli les villes de gibets et de roues, pour sacrifier à leurs prétentions atroces les africains et les hommes de couleur ; tous ces hommes de sang peuplaient encore la colonie. Si, par la plus grande des imprudences, nous eussions, à cette époque, rompu les liens qui enchaînaient les esclaves à leurs maîtres, sans doute que leur premier mouvement eût été de se jeter sur leurs bourreaux, et dans leur trop juste fureur, ils eussent aisément confondu l'innocent avec le coupable ; nos pouvoirs, d'ailleurs, ne s'étendaient pas jusqu'à pouvoir prononcer sur le sort des Africains, & nous eussions été parjures et criminels si la loi eût été violée par nous.
Aujourd'hui les circonstances sont bien changées ; les négriers & les anthropophages ne sont plus. Les uns ont péri victimes de leur rage impuissante, les autres ont cherché leur salut dans la fuite et l'émigration. Ce qui reste des blancs est ami de la loi et des principes français. La majeure partie de la population est formée des hommes du 4 avril, de ces hommes à qui vous devez votre liberté, qui, les premiers, vous ont donné l'exemple du courage à défendre les droits de la nature et de l'humanité ; de ces hommes qui, fiers de leur indépendance, ont préféré la perte de leurs propriétés à la honte de reprendre leurs anciens fers. N'oubliez jamais, citoyens, que vous tenez d'eux les armes qui vous ont conquis la liberté ; n'oubliez jamais que c'est pour la République Française que vous avez combattu ; que de tous les blancs de l'Univers, les seuls qui soient vos amis, sont les Français d'Europe.
La République Française veut la liberté et l'égalité entre tous les hommes, sans distinction de couleur ; les rois ne se plaisent qu'au milieu des esclaves : ce sont eux qui, sur les côtes d'Afrique vous ont vendus aux blancs ; ce sont les tyrans d'Europe qui voudraient perpétuer cet infâme trafic. La RÉPUBLIQUE vous adopte au nombre de ses enfants ; les rois n'aspirent qu'à vous couvrir de chaînes ou à vous anéantir.
Ce sont les représentans de cette même République qui, pour venir à votre secours, ont délié les mains des Commissaires civils, en leur donnant le pouvoir de changer provisoirement la police & la discipline des ateliers. Cette police et cette discipline vont être changées : un nouvel ordre de choses va renaître, & l'ancienne servitude disparaîtra.
Devenus citoyens par la volonté de la Nation Française, vous devez être aussi les zélés observateurs de ses décrets ; vous défendrez, sans doute, les intérêts de la République contre les rois, moins encore par le sentiment de votre indépendance, que par reconnaissance pour les bienfaits dont elle vous a comblés. La liberté vous fait passer du néant à l'existence, montrez-vous dignes d'elle : abjurez à jamais l'indolence comme le brigandage : ayez le courage de vouloir être un peuple, & bientôt vous égalerez les nations européennes.
Vos calomniateurs & vos tyrans soutiennent que l'Africain devenu libre ne travaillera plus ; démontrez qu'ils ont tort ; redoublez d'émulation à la vue du prix qui vous attend ; prouvez à la France, par votre activité, qu'en vous associant à ses intérêts elle a véritablement accru ses ressources & ses moyens.
Et vous, citoyens égarés par d'infâmes royalistes ; vous qui, sous les drapeaux & les livrées du lâche espagnol, combattez aveuglément contre vos propres intérêts, contre la liberté de vos femmes & de vos enfants, ouvrez donc enfin les yeux sur les avantages immenses que vous offre la République. Les rois vous promettent la liberté : mais voyez-vous qu'ils la donnent à leurs sujets ? L'espagnol affranchit-il ses esclaves ? Non sans doute ; il se promet bien, au contraire, de vous charger de fers sitôt que vos services lui seront inutiles. N'est-ce pas lui qui a livré Ogé à ses assassins ? Malheureux que vous êtes ! si la France reprenait un roi, vous deviendriez bientôt la proie des émigrés ; ils vous caressent aujourd'hui ; ils deviendraient vos premiers bourreaux.
Dans ces circonstances, le commissaire civil délibérant sur la pétition individuelle, signée en assemblée de commune.
Exerçant les pouvoirs qui lui ont été délégués par l'art. III du décret rendu par la convention nationale le 5 mars dernier ;
A ordonné & ordonne ce qui suit pour être exécuté dans la province du Nord.
Article premier.
La déclaration des droits de l'homme & du citoyen sera imprimée, publiée & affichée partout où besoin sera, à la diligence des municipalités, dans les villes & bourgs, & des commandants militaires dans les camps et postes.
Article II.
Tous les nègres & sang-mêlés, actuellement dans l'esclavage, sont déclarés libres pour jouir de tous les droits attachés à la qualité de citoyens français ; ils seront cependant assujettis à un régime dont les dispositions sont contenues dans les articles suivants.
Article III.
Tous les ci-devant esclaves iront se faire inscrire, eux, leurs femmes & leurs enfans à la municipalité du lieu de leur domicile, où ils recevront leur billet de citoyens français signé du commissaire civil.
Article IV.
La formule de ces billets sera déterminée par nous ; ils seront imprimés & envoyés aux municipalités, à la diligence de l'ordonnateur civil.
Article V.
Les domestiques des deux sexes ne pourront être engagés au service de leurs maîtres ou maîtresses que pour trois mois, & ce, moyennant le salaire qui sera fixé entr'eux de gré à gré.
Article VI.
Les ci-devant esclaves domestiques, attachés aux vieillards au-dessus de soixante ans, aux infirmes, aux nourrissons et aux enfans au-dessous de dix ans, ne seront point libres de les quitter. Leur salaire demeure fixé à une portugaise par mois pour les nourrices, & six portugaises par an pour les autres, sans distinction de sexe.
Article VII.
Les salaires des domestiques feront exigibles tous les trois mois.
Article VIII.
Ceux des ouvriers, dans quelque genre que ce soit, seront fixés de gré à gré avec les entrepreneurs qui les emploieront.
Article IX.
Les nègres actuellement attachés aux habitations de leurs anciens maîtres, seront tenus d'y rester ; ils seront employés à la culture de la terre.
Article X.
Les guerriers enrôlés, qui servent dans les camps ou dans les garnisons pourront se fixer sur les habitations en s'adonnant à la culture, & obtenant préalablement un congé de leur chef ou un ordre de nous, qui ne pourront leur être délivré qu'en se faisant remplacer par un homme de bonne volonté.
Article XI.
Les ci-devant esclaves cultivateurs seront engagés pour un an, pendant lequel temps ils ne pourront changer d'habitation que sur une permission des juges de paix, dont il sera parlé ci-après, & dans les cas qui seront par nous déterminés.
Article XII.
Les revenus de chaque habitation seront partagés en trois portions égales, déduction faite des impositions, lesquelles sont prélevées sur la totalité.
Un tiers demeure à la propriété de la terre & appartiendra au propriétaire. Il aura la jouissance de l'autre tiers pour les frais de fesance-valoir ; le tiers restant sera partagé entre les cultivateurs de la manière qui va être fixée.
Article XIII.
Dans les frais de fesance-valoir sont compris tous les frais quelconques d'exploitation, les outils, les animaux nécessaires à la culture & au transport des denrées, la construction & l'entretien des bâtiments, les frais de l'hôpital, des chirurgiens & gérans.
Article XIV.
Dans le tiers du revenu appartenant aux cultivateurs, les commandeurs, qui seront désormais appelés conducteurs de travaux, auront trois parts.
Article XV.
Les sous-conducteurs recevront deux parts, de même que ceux qui seront employés à la fabrication du sucre & de l'indigo.
Article XVI.
Les autres cultivateurs, à quinze ans & au-dessus, auront chacun une part.
Article XVII.
Les femmes à quinze ans & au-dessus auront deux tiers de part.
Article XVIII.
Depuis dix ans jusqu'à quinze, les enfans des deux sexes auront demi-part.
Article XIX.
Les cultivateurs auront en outre leurs places à vivres ; elles seront réparties équitablement entre chaque famille, eu égard à la qualité de la terre & à la quantité qu'il convient d'accorder.
Article XX.
Les mères de familles qui auront un ou plusieurs enfans au-dessous de dix ans, recevront part entière. Jusqu'au dit âge les enfans resteront à la charge de leurs parens pour la nourriture & l'habillement.
Article XXI.
Depuis l'âge de dix ans à celui de quinze, les enfans ne pourront être employés qu'à la garde des animaux ou à ramasser & trier du café & du coton.
Article XXII.
Les vieillards & les infirmes seront nourris par leurs parens. Les vêtemens & les médicamens seront à la charge du propriétaire.
Article XXIII.
Les denrées seront partagées à chaque livraison entre le propriétaire & le cultivateur, en nature ou en argent au prix du cours, au choix du propriétaire : en cas de partage en nature, celui-ci sera tenu de faire conduire à l'embarcadaire le plus voisin la portion des cultivateurs.
Article XXIV.
Il sera établi dans chaque commune un juge de paix & deux assesseurs, dont les fonctions seront de prononcer sur les différends entre les propriétaires & les cultivateurs, et de ces derniers entr'eux, relativement à la division de leurs portions dans le revenu : ils veilleront à ce que les cultivateurs soient bien soignés dans leurs maladies, à ce que tous travaillent également ; & ils maintiendront l'ordre dans les ateliers.
Article XXV.
Les propriétaires, fermiers ou gérans seront tenus d'avoir un registre paraphé par la municipalité du lieu, sur lequel sera inscrit la quantité de chaque livraison de denrées, & de régler la répartition du tiers revenant aux cultivateurs ; cette répartition sera vérifiée par l'inspecteur de la paroisse & arrêtée par lui définitivement.
Le juge de paix sera tenu d'avoir un double du registre tenu par chaque gérant ou propriétaire & de le représenter à l'inspecteur général toutes les fois qu'il en sera requis : il en sera de même des propriétaires & gérans à l'égard des juges de paix & de l'inspecteur général.
Article XXVI.
L'inspecteur général de la province du Nord sera chargé d'inspecter toutes les habitations, de prendre auprès des juges de paix tous les renseignemens possibles sur la police & la discipline des atteliers & de nous en rendre compte ainsi qu'au gouverneur général & à l'ordonnateur civil. Il sera en tournée au moins vingt jours du mois.
Article XXVII.
La correction du fouet est absolument supprimée ; elle sera remplacée, pour les fautes contre la discipline, par la barre pour un, deux ou trois jours, suivant l'exigence des cas. La plus forte peine sera la perte d'une partie ou de la totalité des salaires ; elle sera prononcée par le juge de paix et ses assesseurs ; la portion de celui ou de ceux qui en seront privés accroîtra au profit de l'attelier.
Article XXVIII.
A l'égard des délits civils, les ci-devant esclaves seront jugés comme les autres citoyens français.
Article XXIX.
Les cultivateurs ne pourront être contraints de travailler le dimanche : il leur sera laissé deux heures par jour pour la culture de leur place. Les juges de paix régleront, suivant les circonstances, l'heure à laquelle les travaux devront commencer et finir.
Article XXX.
Il sera libre au propriétaire ou gérant d'avoir tel nombre que bon lui semblera de conducteurs ou sous-conducteurs de travaux ; ils seront choisis par lui & pourront être destitués également par lui, à la charge d'en rendre compte au juge de paix qui, assisté de ses assesseurs, prononcera sur la validité de la destitution.
Les conducteurs & sous-conducteurs pourront aussi être destitués par le juge de paix assisté de ses assesseurs, sur les plaintes portées contre eux par les cultivateurs.
Article XXXI.
Les femmes enceintes de sept mois ne travailleront point au jardin, & n'y retourneront que deux mois après leurs couches ; elles n'en jouiront pas moins, pendant ce temps, des deux tiers de part qui leur sont alloués.
Article XXXII.
Les cultivateurs pourront changer d'habitation pour raison de sûreté ou d'incompatibilité de caractère reconnue, ou sur la demande de l'atelier où ils sont employés. Le tout sera soumis à la décision du juge de paix, assisté de ses assesseurs.
Article XXXIII.
Dans la quinzaine du jour de la promulgation de la présente proclamation, tous les hommes qui n'ont pas de propriétés, & qui ne seront ni enrôlés, ni attachés à la culture, ni employés au service domestique & qui seraient trouvés errants, seront arrêtés & mis en prison.
Article XXXIV.
Les femmes qui n'auront pas de moyens d'existence connus, qui ne seront pas attachées à la culture ou employées au service domestique, dans le délai ci-dessus fixé, ou qui feraient trouvées errantes seront également arrêtées & mises en prison.
Article XXXV.
Les hommes & femmes mis en prison dans les cas énoncés aux deux articles précédens, seront détenus pendant un mois, pour la première fois ; pendant trois mois, pour la seconde ; & la troisième fois, condamnés aux travaux publics pendant un an.
Article XXXVI.
Les personnes attachées à la culture, & les domestiques ne pourront, sous aucun prétexte, quitter, sans une permission de la municipalité, la commune où ils résident ; ceux qui contreviendront à cette disposition seront punis de la manière déterminée dans l'article XXVII.
Article XXXVII.
Le juge de paix sera tenu de visiter, toutes les semaines, les habitations de sa dépendance. Le procès-verbal de visite sera envoyé à l'inspecteur général, qui en fera passer des expéditions aux Commissaires Civils, au Gouverneur Général & à l'Ordonnateur Civil.
Article XXXVIII.
Les dispositions du Code Noir demeurent provisoirement abrogées.
La présente proclamation sera imprimée & affichée partout où besoin sera.
Elle sera proclamée dans les carrefours & places publiques des villes et bourgs de la province du Nord, par les officiers municipaux en écharpe, précédés du bonnet de la Liberté, porté au haut d'une pique.
Ordonnons à la commission intermédiaire, aux corps administratifs & judiciaires de la faire transcrire dans leurs registres, publier & afficher.
Ordonnons à tout commandant militaire de prêter main-forte pour son exécution.
Requérons le Gouverneur Général par intérim de tenir la main à l'exécution.
Au Cap, le 29 août 1793, l'an deux de la République Française.
SONTHONAX.
Par le Commissaire civil de la République.
GAULT , Secrétaire adjoint de la Commission Civile.
AU CAP-FRANÇAIS, de l'Imprimerie de P. Gatineau au Carénage, près de la Commission Intermédiaire.
Source : Léger-Félicité Sonthonax, « Proclamation relative à l’émancipation générale dans la province du Nord », 29 août 1793 ; Etienne Polvérel, « PROCLAMATION [relative à la liberté générale dans l’Ouest et dans le Sud, au partage du revenu des habitations et à la discipline des ateliers]», in Debien Gabriel, « Aux origines de l'abolition de l'esclavage », Revue d'histoire des colonies, tome 36, n°127-128, troisième et quatrième trimestres 1949, pp. 348-423 [https://www.persee.fr/doc/outre_0399-1385_1949_num_36_127_1140], voir le texte sur The Internet Archive, John Carter Brown Library, Brown University, Providence (Rhode Island) [https://ia902604.us.archive.org/6/items/proclamationauno00sont/proclamationauno00sont.pdf].
Annexe 9. Abolition 1794 Décret du 16 pluviôse an II⚓
Annexe 10. Lettre de Toussaint Louverture à Laveaux, 18 mai 1794⚓
Fo 73-74-75
Marmelade, le 18 mai 1794
29 floréal an 2
Toussaint Louverture, Général de l'Armée de l'Ouest
À
Étienne Laveaux, Gouverneur général par intérim.
Le citoyen Chevalier, Commandant de Terre-Neuve et Port-à-Piment, m'a remis votre lettre en date du 5 du courant et pénétré de la plus vive reconnaissance, j'apprécie, comme je dois, toutes les vérités qu'elle renferme.
Il est bien vrai, Général, que j'ai été induit en erreur par les ennemis de la République et du genre humain, mais quel est l'homme qui peut se flatter d'éviter tous les pièges des méchants ? À la vérité, je suis tombé dans leurs filets, mais non point sans connaissance de cause. Vous devez vous rappeler, qu'avant le désastre du Cap et par les démarches que j'avais faites par-devant vous, que mon but ne tendait qu'à nous unir pour combattre les ennemis de la France et faire cesser une guerre intestine parmi les Français de cette colonie. Malheureusement et pour tous généralement, les voies de réconciliation par moi proposées furent rejetées. Mon cœur saigna et je répandis des larmes sur le sort infortuné de ma patrie, prévoyant les malheurs qui allaient s'en suivre ; et je ne m'étais point trompé. La fatale expérience a prouvé la réalité de mes prédictions.
Sur ces entrefaites, les Espagnols m'offrirent leur protection et la liberté pour tous ceux qui combattaient pour la cause des Rois ; et, ayant toujours combattu pour avoir cette même liberté, j'adhérai à leur offre, me voyant abandonné par les Français, mes frères. Mais une expérience un peu tardive m'a dessillé les yeux sur ces perfides protecteurs ; et, m'étant aperçu de leur supercherie et scélératesse, je vis clairement que leurs vues tendaient à nous faire entr'égorger pour diminuer notre nombre et pour surcharger le restant de chaînes, et les faire retomber dans l'ancien esclavage. Non, jamais ils ne parviendraient à leur but infâme ! Et nous nous vengerons à notre tour de ces êtres méprisables à tous les égards. Unissons-nous donc à jamais et, oubliant le passé, ne nous occupons désormais qu'à écraser nos ennemis et à nous venger particulièrement de nos perfides voisins.
Il est bien certain que le pavillon national flotte aux Gonaïves ainsi que toute sa dépendance, et que j'ai chassé les Espagnols et les émigrés de cette partie des Gonaïves ; mais j'ai le cœur navré de l'événement qui a suivi sur quelques malheureux blancs qui ont été victimes dans cette affaire. Je ne suis point comme bien d'autres qui voient des scènes d'horreur avec sang-froid ; j'ai toujours eu l'humanité pour partage, et je gémis quand je ne puis empêcher le mal ; il y a eu aussi quelques petits soulèvements parmi les ateliers, mais j'ai mis de suite le bon ordre et tous travaillent comme ci-devant.
Gonaïves, le Gros-Morne, Canton d'Ennery, Marmelade, Plaisance, Dondon, l'Acul et toute la dépendance avec le Limbé sont sous mes ordres, et je compte quatre mille hommes armés dans tous ces endroits, sans compter cependant les citoyens du Gros-Morne qui sont au nombre de six cents hommes.
Quant aux munitions de guerre, j'en suis dépourvu entièrement, les ayant consommées dans les diverses attaques que j'ai faites contre l'ennemi ; quand j'ai pris les Gonaïves, j'ai seulement trouvé cent gargousses [charge propulsive d'artillerie ] à canon dont je fais faire des cartouches à fusil pour attaquer le Pont de l'Estère où sont campés les émigrés ; je me propose de les attaquer au premier moment, c'est-à-dire quand le citoyen Blanc Cazenave se sera rendu avec son armée à l'habitation Marchand, au carrefour de la Petite-Rivière de l'Artibonite.
Je suis en ce moment occupé du Camp Bertin au Porc-Margot, dont le chef paraît vouloir braver mes forces ; j'ai donné mes ordres pour faire marcher les troupes du Limbé et Plaisance pour l'attaquer. Je m'imagine bien que je m'en emparerai ; et, aussitôt pris, je vous en ferai part, pour que de votre côté, vous puissiez, si vous le jugez à propos, marcher contre le Borgne ; j'en ferai autant de mon côté et nous pourrons cerner le bourg de cette paroisse et l'attaquer, s'il est nécessaire ; et, après la réduction de ces deux endroits, nous aurons le champ libre pour nous voir et concerter plus amplement nos opérations pour les intérêts républicains.
Quant aux forces de nos ennemis, elles seraient bien peu conséquentes, sans le Général Jean-François qui tient bon au Fort-Dauphin, où il s'est retiré avec sa troupe après avoir été repoussé vigoureusement au Trou et à Caracol. J'ai fait mon possible pour tirer ces gens de l'erreur où on les tient plongés ; il faut espérer qu'ils ouvriront à la fin les yeux et qu'ils se joindront à nous pour faire cause commune avec nous.
Les Espagnols ne sont point en force à Saint-Raphaël ni à Saint-Michel, mais ils se fortifient en s'entourant de pieux et je me persuade qu'il n'y a rien à craindre de leur côté.
Quant aux moyens pour instruire les Commissaires civils de mon retour et des événements qui ont eu lieu, je crois bien que la communication avec le Port Républicain est interceptée et qu'il n'est guère possible de leur faire part de ce qu'il en est, à moins que vous ne leur expédiez un bateau à cet effet. Je m'informerai cependant auprès du citoyen Blanc Cazenave s'il n'y aurait point quelque autre moyen.
Voilà, Général, la situation exacte de tout ; veuillez, je vous prie, m'envoyer des munitions de guerre ; vous jugerez par vous-même de la quantité qu'il me faudra dans la circonstance présente. Le citoyen Wiollard, Lieutenant au 1er bataillon de Morbian, ayant été pris le 1er août 93 dans l'affaire du Grand Boucan, commandée par Dubuisson, se trouve depuis cette époque au Dondon ; il serait bien aise d'aller rejoindre son corps, et comme c'est un brave homme et un bon républicain et que je m'intéresse pour lui, veuillez me dire, Général, si je puis vous l'envoyer, car il désire ardemment servir sous vos ordres.
Salut en la patrie,
Toussaint Louverture.
P.-S. Après ma lettre écrite, on vient de me dire que le Général Jean-François se propose de venir à la Grande-Rivière pour m'attaquer ; je vous prie de vouloir m'envoyer des munitions au plus tôt pour que je puisse le recevoir.
Source : Lettre de Toussaint Louverture à Laveaux, 18 mai 1794, in Toussaint Louverture, Lettres à la France. Idées pour la libération du Peuple Noir d’Haïti (1794-1798), Introduction et appareil critique d’Antonio M. Baggio et Ricardo Augustin, Bruyères-le-Châtel, Nouvelle Cité, 2011, pp. 155-158. Voir aussi Gérard Mentor Laurent, Toussaint Louverture à travers sa correspondance (1794-1798), Madrid, Industrias Graficas España, 1953, p. 103 sq.
Annexe 11. Toussaint Louverture, 21 février 1799⚓
Gens de couleur qui depuis le commencement de la révolution trahissez les noirs, que désirez-vous aujourd’hui ? Personne ne l’ignore ; vous voulez commander en maîtres dans la colonie ; vous voulez l’extermination des blancs et l’asservissement des noirs ! . . . Mais y réfléchissez-vous hommes pervers qui vous êtes à jamais déshonorés par l’embarquement et ensuite l’égorgement des troupes noires connues sous la dénomination des suisses. Avez-vous hésité à sacrifier à la haine des petits-blancs ces malheureux qui avaient versé leur sang pour votre cause ? Pourquoi les avez-vous sacrifiés ? Pourquoi le général Rigaud refuse-t-il à m’obéir ? C’est parce que je suis noir ; c’est parce qu’il m’a voué, à cause de mon couleur, une haine implacable. Pourquoi refuserait-t-il d’obéir à un général français comme lui, qui a contribué plus que n’importe qui à l’expulsion des Anglais ? Hommes de couleur, par votre fol orgueil, par votre perfidie vous avez déjà perdu la part que vous possédiez dans l’exercice des pouvoirs politiques. Quant au général Rigaud, il est perdu ; il est sous mes yeux au fond d’un abîme ; rebelle et traître à la patrie, il sera dévoré par les troupes de la liberté. Mulâtres, je vois au fond de vos âmes ; vous étiez prêts à vous soulever contre moi, mais bien que toutes les troupes aillent incessamment quitter la partie de l’Ouest, j’y laisse mon œil et mon bras : mon œil pour vous surveiller, mon bras qui saura vous atteindre.
Toussaint Louverture, 21 février 1799, cité in Beaubrun Ardouin, Études sur l’histoire d’Haïti ; suivies de la vie du général J.-M. Borgella, Paris, Dezobry et Magdeleine et chez l’auteur, 1853-1860, tome 4, chapitre 1, p. 24. [disponible sur Gallica]. Voir aussi François-Joseph-Pamphile de Lacroix, Mémoires pour servir à l’histoire de la révolution de Saint-Domingue, Paris, Pillet, tome 1, 1819, Chapitre X, pp. 373 sq. (p. 376 pour le discours de Toussaint Louverture) [disponible sur Gallica].
Annexe 12. Lettre d’André Rigaud à Philippe-Rose Roume, 31 mai 1799⚓
Je suis enfin proscrit sur la terre ; vous seul, citoyen agent, me donnez quelquefois des consolations paternelles et vos sages conseils que je mets à profit ; mais les amertumes dont je suis abreuvé journellement ne me donnent pas l'espoir de vivre. Faut-il vous dire mon mal ? Oui, vous ne devez rien ignorer. Je viens de recevoir les injures les plus amères du général Toussaint ; jamais, non jamais, citoyen agent, un officier ne fut plus injustement et plus cruellement injurié ; jamais scélérat ne peut réunir autant de crimes qu'on ne m'en prête ; ma conscience n'a rien à se reprocher.... Je n'ai jamais passé pour un assassin .... je ne puis être un voleur. L'injure qu'on me fait de me croire ambitieux du commandement est dépourvue de vraisemblance, puisque je sollicite ma retraite depuis longtemps. Je ne passe pas dans l'esprit de mes ennemis mêmes pour un fourbe, un traître, un suborneur, un ennemi de la liberté, un tyran des noirs .... J'ai embrassé trop sincèrement, et peut-être trop chaudement la liberté des noirs ; on m'accuse du contraire de ce qui m'est imputé, c'est de trop les protéger.... Je vous préviens, citoyen agent, que je ne répondrai pas à la lettre insultante du général en chef. Je ne puis donc désormais correspondre avec un chef qui croit m'avoir déshonoré. J'ai des chefs, mais je n'ai point de maître ; et jamais maître irrité et mal embouché n'a traité son esclave de la manière atroce que je l'ai été : il faut que tout mon sang coule ....
Le général Toussaint fait marcher des troupes ; il menace par les armes le département du Sud. Les citoyens qui l'habitent se laisseront égorger, ou ils se défendront ; il faut bien subir le sort qui nous est destiné, puisque l'agent du Directoire, le représentant de la France à Saint-Domingue ne peut rien pour nous.
Mon crime est d'aimer la République, de vouloir lui rester fidèle, de faire exécuter les lois contre les émigrés, de maintenir l'ordre et le travail, et de ne point baisser la tête devant l'idole ! Je périrai, si je dois périr ; mais, citoyen agent, si vous me rendez la justice que je mérite, comme je l'espère, vous assurerez au corps législatif, au Directoire exécutif et à toute la France, que jamais républicain au monde n'a été plus attaché à sa patrie que moi.
Source : Lettre d’André Rigaud à Philippe-Rose Roume, 31 mai 1799, cité in Beaubrun Ardouin, Études sur l’histoire d’Haïti ; suivies de la vie du général J.-M. Borgella, Paris, Dezobry et Magdeleine et chez l’auteur, 1853-1860, tome 4, chapitre 1, pp. 53-54. [disponible sur Gallica].
Annexe 13. Lettre de Stevens à Pickering, 24 juin 1799⚓
STEVENS TO PICKERING.
L'ARCAHAYE June 24th. I799.
Dear Sir My Apprehensions of an immediate Rupture between the rival Chiefs of this Colony have been realised. Rigaud has actually commenced Hostilities and taken forcible Possession of petit and grand Goave, two Districts which formerly appertained to the Department of Toussaint. At the latter Place he is encamped with an Army of 4000 Men. Toussaint is now at Leogane with 20,000. Rigaud's Army is well fed, well clothed, and well paid. The uninterrupted Trade he has carried on from the South with St: Thomas, the Continent of America, and The Island of Jamaica, has supplied him with Plenty of Provisions, Clotheing, and Ammunition. The arbitrary and oppressive Contributions he has levied from the Inhabitants of the South, and the Application of all the publick Revenue, for several Years past, to his own private Purposes, have given him a great Command of Money. His Infantry are well disciplined, and his Cavalry the best in the Colony. The former consists of black Troops that have served under him since the Commencement of the Revolution, and a few of the Cultivators whom he has deceived and induced to espouse his Cause, by Misrepresentation and Bribery. The latter is composed entirely of Mullattoes. These are the best Horsemen in the Colony. From Indolence and Pride these People seldom travel on foot, and being accustomed to ride from their Infancy, they acquire a Facility of managing a Horse, which renders them superior to the Negroes. Add to this that they are allways much better mounted.-
Toussaint's Army, on the contrary, is in want of every Thing. He has but little Ammunition, and few Military Stores. There is not, at present, a Barrel of Flour or Salt Provisions in this Port of the Island, and his Troops are but indiffirently clad. All these Circumstances have induced him, hitherto, to remain on the defensive, and have enabled Rigaud to gain ground. He is only waiting for the Supplies he momently expects from Jamaica, to put his Forces in Motion and strike a vigorous Blow. When he commences his Operations the Contest will be but short. Toussaint has on his Side most of the Blacks, and all the Whites of the Colony. His humane and mild Conduct has render'd him respectable to the latter, and they now look up to him as their only Shield against the cruel Tyranny of Rigaud. When the latter had got Possession of Petit Goave, all the whites in Port au Prince rose in a Mass, and desired Permission to march against him; but Toussaint objected to it, observing that they had already suffered Misfortunes enough by the Revolution, and that he had Men enough to finish the Contest, and protect them, without subjecting them again to the Horrors of War. Besides this decided Support of the Inhabitants in his Favor, Toussaint acts apparently under the Sanction of the french Republic, while the other is considered as a Rebel and Outlaw. All the public Acts of the Agent are in favor of Toussaint, and hostile to his Rival. In this Line of Conduct will Roume continue as long as he is invested with any public Authority. The fact is, that he dare not do otherwise. He is, at present, no better than a dignified Prisoner at the Cape, from whence he is not permitted to depart. Possessing only the Semblance of Power, he will be tolerated for a Time, as useful in signing such Edicts as Toussaint dictates, and giving an Appearance of Legality to his Proceedings. As soon as Rigaud falls, Roume will be sent off, and from that Moment the Power of the Directory will cease in this Colony. I hinted to you, some Time ago, my suspicion that Rigaud was privately supported by the french Government, from the cruel Policy of weakening both Mullattoes and Negroes, by fomenting and keeping up a Contest between them. Every Day confirms me more in this Opinion, and I have now no doubt that the Agent is the secret and diabolical Instrument employed by them for this Purpose. He certainly is privately in the Interests of Rigaud, and Toussaint seems well acquainted with this Fact. Policy, however, induces him to temporise. A few Days ago he wrote him a very severe Letter, which he read to me. He accuses him of Weakness, Indecision, and a criminal Neglect of his Duty, and imputes to him all the Misfortunes which the Colony has suffered since the Commencement of his Administration. He concludes with calling to his Recollection that he has requested him three several Times to publish a Proclamation of Outlawry against Rigaud, that he repeats this Request, for the last Time, and nothing but his prompt Obedience will convince him that the Government stands in any further Need of his Services. I can readily anticipate the Result of this Mandate. Roume will publish the Proclamation, tho' reluctantly, and will then be suffered quietly to strut about the Government House in the Costume of Agency, until some Thing else is required of him.
As I have mentioned the Capture of petit and grand Goave it may be proper to give you the Particulars of that Event. After having massacred most of the principal white Inhabitants of Aux Cayes, Jeremie and Miraguan, Rigaud marched against Petit Goave with 4000 Men. Toussaint had in this advanced Post only 700 Men, under the Command of General Laplume; but these Men were part of a Brigade under the immediate Command of Christophe Momet, Commandant of Port au Prince. Formidable as his army was, the Officer who commanded for Rigaud, was afraid to attack Laplume openly. He, therefore, had Re-course to Stratagem. The Commander of the national Guard, who was a Mullattoe in the Interest of Rigaud, and deserted from Petit Goave on the first Appearance of his Friends, but afterwards affected to be sensible of his Error, and solicited Permission to return to his Duty. Laplume very imprudently consented to it, and suffered him and the Troop that had deserted with him, to come back to Petit Goave. Being in concert wt: the 700 Men who had been corrupted by Christophe Momet their Commander, and Pierre Louis Mason their Lieutenant Colonel (both Traitors, who have been since arrested and imprisoned) they took Possession of the Town in the Night, and murdered every Person they could find, without respect to Age or Sex. Laplume narrowly escaped being taken Prisoner. Some of the wretched Fugitives have arrived here in Canoes, and give a horrid Account of the Barbarity of these bloody Monsters. Since this Affair Laplume made an unexpected Sally from Leogane, in two Columns, routed Rigaud's Troops, retook grand Goave, and drove them as far as Tapion, a Mountain in the neighbourhood of Petit Goave. Nothing more has yet been done. Toussaint's Position is very strong. Acul and Leogane are impregnable by any Force that Rigaud can bring against them, and as soon as the black Troops receive a Supply of Provisions and Stores they will push on to retake Petit Goave. The whole Force that Rigaud can bring into the Field is 5500 Men, and with these he has a large Extent of Coast to defend; while Toussaint can easily embody four Times the Number. It is reported that Jackamel has been taken by a Party of Toussaint's Troops under the Command of General La Fortune, and Mademoiselle, and that Bauvais has escaped to St: Thomas, but this Wants Confirmation. A great Number of Mullattoes have been taken up and imprisoned in this Village and other Parts of the Colony. The strictest Vigilance is observed in the Police thro' the whole Country, and great Care taken to arrest all suspected Persons. This is the actual State of Things.
The Causes that have brought on this Contest are partly detailed in the Letters of Toussaint and the Agent which I enclose, and may be partly attributed to the Jealousy which naturally exists between two rival Chiefs, whose Theatre of Acting is limited. The one proud, haughty and cruel, and agitated by a restless Ambition, views with Impatience a Negro at the Head of Affairs and in Possession of that Power, which he thinks is due alone to his superior Talents. The other more mild and humane thinks that the Interests of human Nature require this Man to be deposed, and that the Authority he himself possesses is justly merited by the Services he has render'd the Colony. Both wish to reign, but by different means, and with different Views. Rigaud would deluge the Country with Blood to accomplish this favourite Point, and slaughter indiscriminately whites, blacks, and even the leading Chiefs of his own Colour. The Acquisition of Power, with him, is only desirable because it would enable him to indulge, without Restraint, his cruel and sanguinary Passions. Toussaint, on the contrary, is desirous of being confirmed in his Authority by the united Efforts of all the Inhabitants, whose Freind and Protector he wishes to be consider'd, and, I am convinced, were his Power uncontroled he wd: exercise it in protecting Commerce, encouraging Agriculture and establishing useful Regulations for the internal Government of the Colony.-'Tho' the Dissension be-tween these Chiefs is of an old Date, and Rigaud has been long making Preparations to force the supreme Command from the Hands of Toussaint, yet I do not imagine that the Explosion would have taken place so soon, had it not been for the Circumstances that have recently occurred. The Publication of Gen: Maitland's Treaty at the Mole, and the many injudicious Paragraphs that were inserted in the english Papers gave an Air of Plausibility to a Tale, which Rigaud studiously propagated, that the Colony of St: Domingo was to be sold to the british Government, and once more brought under the Yoke of Slavery. But when the Camilla appeared off the Cape and British Officers were seen landing in their Uniform, even the Freinds of Toussaint were stagger'd. Nor was the Story less confirmed, in Appearance, when the Frigate touched at the Mole, and anchor'd at Gonaives for several Days. The secret Conferences of Gen: Maitland with Toussaint at Decataux, ex-cited Suspicions in the Minds of the Cultivators, and added a Force to, the Insinuations of his Enemies, which all the Efforts of his Freinds were unable to resist. Rigaud triumphantly appeals to these Facts in a Declamation he lately published against Toussaint. Mutiny, Desertion and Treachery were the immediate Effects of Rigaud's Intrigues and Toussaint's unsuspicious Conduct. Several Bodys of his Troops deserted to the South, and a few subaltern Officers, whom he thought strongly attached to him, went off to his Rival. By vigorous and decided Measures, however, he quieted these Disturbances, and every Thing was reduced to order when the Camilla again made her Appearance at L'Arcahaye, where she has continued from the 11th: Inst: until this Day. The same Suspicions, the same Intrigues of his Enemies have been renewed, and 'tho' I beleive Toussaint will again suppress them, yet you would scarcely credit the Mischief that has been done. This last Visit has thrown many Obstacles in the Way of Gen: Maitland's Negociation, and prevented Toussaint from doing many things which he was well inclined to do, but which the critical Situation of his Affairs would not admit of. It has thrown an effectual Bar in the Way of Col: Grant's Agency, and may perhaps prevent any other Person from being received. My Efforts in favour of the british Interests will become more difficult, and my Situation be rendered more unpleasant. You may be assured, however, Sir, that I shall not omit any Thing that lays in my Power to promote the joint Interests of both Countries.
With respect to the Issue of the Contest between Toussaint and Rigaud, I own I am not apprehensive. As far as I can judge, (and I have taken much pains to acquire Information, not only from my own Observation, but also from the Report of others) as soon as the former has furnished his Army with what it wants and taken the Field, the latter must yield. Toussaint runs no Risk from open Force. He is too powerful. His only Danger is from internal Treason; but as he is now on his guard, and has taken every necessary Precaution to prevent it, I beleive he is tolerably safe, even from that Hazard.
It will readily occur to you, Sir, that if Toussaint should prove unsuccessful, all the Arrangements we have made respecting Commerce must fall to the Ground. The most solemn Treaty would have little Weight with a Man of Rigaud's capricious and tyrannical Temper. This Circumstance points out the absolute Necessity of supporting Toussaint by every legal Measure, and it was this which induced me to consent to the small temporary Supply which he is to receive from Jamaica. I hope it will come in Time to serve him until the Ports are open'd, which I have given him every Reason to beleive would be done on the Day appointed. I beg Leave here to repeat what I have already hinted in all my Letters, that it might be prudent to direct some of the American Ships of War to cruise on the south Side of the Island, and about Jeremie, in order that they might co-operate with the British in cutting of all Supplies of Provision and Ammunition.
I am sorry to inform you that the present civil War will have a considerable Influence on the Agriculture of this Island, and diminish the Exports of the present Year not a little. The Cultivators began to be industrious, and the Expectation of selling their Produce, made them labour with alacrity; but a great many of them have of late been drafted for the Army. Most of the Horses, Mules, Oxen and Carts belonging to the different Plantations have also been put in Requisition. The Proprietors of Estates, therefore, can neither bring in the Produce which is already prepared for Market, nor prepare more. It is estimated that in the Quarter of Jeremie there is still io Millions of Coffee not exported. At petit and grand Goave, Mira-guan, and Leogane there is also a large Quantity. All this will be lost to the commercial World while the War lasts. Under the old System the District of L'Arcahaye made annually 30 Millions of Sugar. During the Residence of the british it exported 24 Millions. This Year it has a Prospect of making 7 Millions. What it will actually make, it is impossible to ascertain, as many of the Planters are obliged to cease grinding, and there is an entire Stop put to Labour. What I have said of the Places above mention'd applies equally well to the other Ports of the Island. They have all severely felt the Calamities attendant upon the present Contest.
I have just been informed that the Sprightly has made her Appearance, and that it will be necessary to send off my Letters. I beg Leave to send you a Letter which I have just received from Gen: Maitland, and which announces his Departure for England. Should any Accident prevent the Cutter from sailing immediately I will enclose you also a Copy of his Instructions to Col: Grant. They will shew you that the Views of Great Britain are exactly similar to those of the united States respecting this Colony. I remain Dr: Sir
With great Esteem and Respect
Your most obed: Servt:
EDWARD STEVENS
Timothy Pickering Esqr.
etc: etc: etc:
[Endorsed:] Dr. Edwd. Stevens
L'Arcahaye June 24. 1799.
recd. Sept. 4th.
Source : Lettre de Stevens à Pickering, 24 juin 1799, in Letters of Toussaint Louverture and of Edward Stevens (1798-1800) », The American Historical Review, XVI, october, 1910, pp. 76-81 [https://www.jstor.org/stable/pdf/1834309.pdf?refreqid=excelsior%3A1a3e09de786912c74da0d76dff869661&ab_segments=&origin=&acceptTC=1].
Annexe 14. Règlement de culture du 12 octobre 1800⚓
Toussaint Louverture, général en chef de l'armée de Saint-Domingue.
À toutes les autorités civiles et militaires.
Citoyens,
Notre premier devoir, après avoir terminé la guerre du Sud, a été d’en remercier le Tout-Puissant ; nous nous en sommes acquitté avec la ferveur qu’exigeait un, si grand bienfait. Maintenant, citoyens, il importe que tous nos moments ne soient consacrés qu’à la prospérité de Saint-Domingue, à la tranquillité publique, par conséquent au bonheur de tous nos concitoyens.
Mais pour y parvenir d’une manière solide, il faut que toutes les autorités civiles et militaires s’occupent, chacun en ce qui le concerne, de remplir avec zèle, dévouement et en amis de la chose publique, les devoirs que sa place lui impose.
Vous vous pénétrerez aisément, citoyens, que la culture est le soutien des gouvernements, parce qu’elle procure le commerce, l’aisance et l’abondance, qu’elle fait naître les arts et l’industrie, qu’elle occupe tous les bras, étant le mécanisme de tous les états : et alors que chaque individu s’utilise, la tranquillité publique en est le résultat, les troubles disparaissent avec l’oisiveté qui en est la mère, et chacun jouit paisiblement du fruit de ses travaux.
[…] Mais, considérant que pour assurer la liberté sans laquelle l’homme ne peut pas être heureux, il faut que tous s ’occupent utilement de manière à coopérer au bien public et à la tranquillité générale ;
[…] Considérant que depuis la révolution, des cultivateurs et cultivatrices qui, parce qu’ils étaient jeunes alors, ne s’occupaient pas encore de la culture, ne veulent pas aujourd’hui s’y livrer, parce que, disent-ils, ils sont libres, ne passent les journées qu’à courir et vagabonder, ne donnent qu'un très mauvais exemple aux autres cultivateurs, alors cependant que tous les jours, - les généraux, les officiers, les sous-officiers et soldats sont en activité permanente, pour assurer les droits sacrés de tous ;
Considérant enfin, que ma proclamation du 25 brumaire an 7 (15 novembre 1798), au peuple de Saint-Domingue, aurait dû le porter à un travail actif et assidu, en même temps quelle disait à tous les citoyens indistinctement, que pour parvenir à la restauration de Saint-Domingue, le concours de l'agriculteur, du militaire et de toutes les autorités civiles était indispensable ;
En conséquence, voulant absolument que ma proclamation ci-dessus relatée, ait son entière exécution, et que tous les abus qui se sont glissés parmi les cultivateurs cessent dès la publication du présent règlement ;
J’ordonne très positivement ce qui suit :
Article 1er. Tous les gérants, conducteurs et cultivateurs seront tenus de remplir avec exactitude, soumission et obéissance, leurs devoirs, - comme le font les militaires.
2. Tous les gérants, conducteurs et cultivateurs qui ne rempliront pas avec assiduité les devoirs que leur impose la culture, seront arrêtés et punis avec la même sévérité que les militaires qui s’écartent des leurs ; et après la punition subie, si c’est un gérant, il sera mis dans un des corps composant l'armée de Saint-Domingue ; si c'est un conducteur, il sera cassé de son emploi, remis en simple cultivateur pour travailler à la culture, et ne pourra plus prétendre à l'emploi de conducteur ; si c’est un cultivateur ou une cultivatrice, il sera puni avec la même sévérité qu'un simple soldat, et suivant l'exigence des cas.
3. Tous les cultivateurs et cultivatrices qui sont dans l’oisiveté, retirés dans les villes, bourgs ou dans d'autres habitations que les leurs, pour se soustraire au travail de la culture, même ceux ou celles qui depuis la révolution ne s'en seraient pas occupé, seront tenus de rentrer immédiatement sur leurs habitations respectives. Si dans huit jours, à compter de la promulgation du présent règlement, ils n'ont pas justifié aux commandants des places ou militaires des lieux où ils résident, qu'ils professent un état utile qui les fait exister (bien entendu que l'état de domesticité n’est point considéré comme état utile), en conséquence, ceux des cultivateurs ou cultivatrices qui quittèrent la culture pour louer leur service, seront tenus de rentrer sur leurs habitations, sous la responsabilité personnelle des personnes qu'ils servent.
On entend par un état utile, celui qui paye ou pourrait payer une rétribution quelconque à la République.
4. Cette mesure nécessitée pour le bien général, prescrit positivement à tout individu quelconque, qui n'est ni cultivateur ni cultivatrice, de justifier incessamment qu’il professe un état utile qui le fasse subsister et qu'il est susceptible de payer une rétribution quelconque à la République : sinon et faute de ce faire, tous ceux ou celles qui seront trouvés en contravention, seront immédiatement arrêtés, pour être, s'ils en sont trouvés coupables, incorporés dans un des régiments de l'armée ; dans le cas contraire, envoyés à la culture, où ils seront contraints de travailler. Cette mesure à laquelle il importe de tenir sévèrement la main, empêchera le vagabondage, puisqu’elle forcera un chacun à s’occuper utilement.
5. Les pères et mères sont fortement invités de se pénétrer de leurs devoirs envers les enfants, qui sont d’en faire de bons citoyens ; et pour cela, il faut les élever par de bonnes mœurs, dans la religion chrétienne et dans la crainte de Dieu : sur toute chose, indépendamment de l’éducation qu’ils devront leur donner, ils devront leur faire apprendre un état quelconque qui puisse, non seulement les mettre à même de gagner leur vie, mais encore de pouvoir venir, au besoin, au secours de leur pays.
6. Tous domiciliés des villes et bourgs qui recèleront des cultivateurs ou cultivatrices ; tous propriétaires et fermiers qui souffriront sur leurs habitations, des cultivateurs ou cultivatrices attachés à d’autres habitations, et n’en auront pas sur le champ rendu compte aux commandants des places ou militaires des quartiers où ils résideront, seront condamnés à une amende de 2, 4 ou 800 livres, selon les moyens des contrevenants, et à une somme triple en cas de récidive. Si les contrevenants, faute de moyens, ne pouvaient payer cette amende, ils seraient mis en prison pour un mois ; et en cas de récidive, pour trois mois.
7. Les gérants et conducteurs de chaque habitation seront tenus de rendre compte au commandant militaire de leur quartier, et au commandant de l'arrondissement, de la conduite des cultivateurs et cultivatrices sous leurs ordres, de même que ceux qui s’absenteraient de leur habitation sans permis, comme de ceux des cultivateurs et cultivatrices qui, quoique résidant sur les habitations, ne voudraient pas travailler à la culture ; ils y seront immédiatement appelés et contraints au travail ; sinon et faute de ce faire, ils seront arrêtés et conduits au commandant militaire, pour être punis, comme il est dit plus haut, suivant l'exigence des cas. Les commandants militaires qui ne rendront pas ces comptes aux commandants d'arrondissement, et ces derniers aux généraux sous les ordres desquels ils sont, seront sévèrement punis à la diligence desdits généraux.
[…] Le présent règlement sera imprimé, lu, publié et affiché partout où besoin sera, même sur les habitations, pour que qui que ce soit n'en puisse prétendre cause d'ignorance ; il sera de plus envoyé avec ma proclamation du 25 brumaire an 7 précitée, qui sera à cet effet réimprimée, à toutes les autorités civiles et militaires, pour que chacun se conforme positivement aux devoirs qui lui sont imposés.
Délivré au quartier général du Port-Républicain, le 20 vendémiaire an 9 de la République française, une et indivisible.
Le général en chef, Toussaint Louverture
Source : Règlement de culture du 12 octobre 1800 cité in Beaubrun Ardouin, Études sur l’histoire d’Haïti ; suivies de la vie du général J.-M. Borgella, Paris, Dezobry et Magdeleine et chez l’auteur, 1853-1860, tome 4, pp. 247 sq. [disponible sur Gallica]. Voir aussi Claude Moïse, Le projet national de Toussaint Louverture et la Constitution de 1801, Montréal, Les Éditions du CIDIHCA, 2001, Annexe A, pp. 130-141 [consultable sur les classiques des sciences sociales : http://classiques.uqac.ca/contemporains/Moise_Claude/Projet_national_Toussaint_Louverture/Projet_national_Toussaint_Louverture.html].
Annexe 15. Constitution de la colonie française de Saint-Domingue⚓
Constitution du 22 Frimaire An VIII - Article 91. - Le régime des colonies françaises est déterminé par des lois spéciales.
Source : Le Cap-Français, Chez P. Roux, imprimeur du Gouvernement 1801 (consultable sur Gallica], Première e couverture et pp. iij-viij.
Les députés des départements de la colonie de Saint-Domingue, réunis en Assemblée centrale, ont arrêté et posé les bases constitutionnelles du régime de la colonie française de Saint-Domingue, ainsi qu'il suit :
TITRE PREMIER. Du Territoire.
Art. 1er. - Saint-Domingue dans toute son étendue, et Samana, la Tortue, la Gonâve, les Cayemites, l'Ile-à-Vaches, la Saône et autres îles adjacentes, forment le territoire d’une seule colonie, qui fait partie de l’Empire français, mais qui est soumis à des lois particulières.
Art. 2. - Le territoire de cette colonie se divise en départements, arrondissements et paroisses.
TITRE II. De ses Habitants.
Art. 3. - Il ne peut exister d’esclaves sur ce territoire, la servitude y est à jamais abolie. Tous les hommes y naissent, vivent et meurent libres et Français.
Art. 4. - Tout homme, quelle que soit sa couleur, y est admissible à tous les emplois.
Art. 5. - Il n’y existe d’autre distinction que celle des vertus et des talents, et d'autre supériorité que celle que la loi donne dans l’exercice d’une fonction publique.
La loi est la même pour tous, soit qu’elle punisse, soit qu'elle protège.
TITRE III. De la religion.
Art. 6. - La religion catholique, apostolique et romaine y est la seule publiquement professée.
Art. 7. - Chaque paroisse pourvoit à l'entretien du culte religieux et de ses ministres. Les biens de fabrique sont spécialement affectés à cette dépense, et les maisons presbytériales au logement des ministres.
Art. 8. - Le gouverneur de la colonie assigne à chaque ministre de la religion l’étendue de son administration spirituelle, et ces ministres ne peuvent jamais, sous aucun prétexte, former un corps dans la colonie.
TITRE IV. Des Mœurs.
Art. 9. - Le mariage, par son institution civile et religieuse, tendant à la pureté des mœurs, les époux qui pratiqueront les vertus qu’exige leur état seront toujours distingués et spécialement protégés par le gouvernement.
Art. 10. - Le divorce n'aura pas lieu dans la colonie. Art. 11. - L'état et le droit des enfants nés par mariage seront fixés par des lois qui tendront à répandre et à entretenir les vertus sociales, à encourager et à cimenter les liens de famille.
TITRE V. Des Hommes en société.
Art. 12. - La Constitution garantit la liberté et la sûreté individuelle. Nul ne peut être arrêté qu’en vertu d'ordre formellement exprimé, émané d'un fonctionnaire auquel la loi donne droit de faire arrêter, détenir dans un lieu publiquement désigné. Art. 13. - La propriété est sacrée et inviolable. Toute personne, soit par elle-même, soit par ses représentants, a la libre disposition et administration de ce qui est reconnu lui appartenir. Quiconque porte atteinte à ce droit se rend criminel envers la société et responsable envers la personne troublée dans sa propriété.
TITRE VI. Des cultures et du commerce.
Art. 14. - La colonie étant essentiellement agricole, ne peut souffrir la moindre interruption dans les travaux de ses cultures.
Art. 15. - Chaque habitation est une manufacture qui exige une réunion de cultivateurs et ouvriers ; c’est l’asile tranquille d'une active et constante famille, dont le propriétaire du sol ou son représentant est nécessairement le père.
Art. 16. - Chaque cultivateur et ouvrier est membre de la famille et portionnaire dans les revenus.
Tout changement de domicile de la part des cultivateurs entraîne la ruine des cultures.
Pour réprimer un vice aussi funeste à la colonie que contraire à l’ordre public, le gouverneur fait tous règlements de police que les circonstances nécessitent et conformes aux bases du règlement de police du 20 vendémiaire an IX, et de la proclamation du 19 pluviôse suivant du général en chef Toussaint- Louverture.
Art. 17. - L’introduction des cultivateurs indispensables au rétablissement et à l’accroissement des cultures aura lieu à Saint-Domingue ; la Constitution charge le gouverneur de prendre les mesures convenables pour encourager et favoriser cette augmentation de bras, stipuler et balancer les différents intérêts, assurer et garantir l’exécution des engagements respectifs résultant de cette introduction.
Art. 18. - Le commerce de la colonie ne consistant uniquement que dans l'échange des denrées et productions de son territoire, en conséquence, l'introduction de celles de même nature que les siennes est et demeure prohibée.
TITRE VII. De la législation et de l’autorité législative.
Art. 19. - Le régime de la colonie est déterminé par des lois proposées par le gouverneur et rendues par une assemblée d’habitants, qui se réunissent à des époques fixes au centre de cette colonie, sous le titre d'Assemblée centrale de Saint-Domingue.
Art. 20. - Aucune loi relative à l’administration intérieure de la colonie ne pourra y être promulguée si elle est revêtue de cette formule :
L’Assemblée centrale de Saint-Domingue, sur la proposition du gouverneur, rend la loi suivante : Art. 21.- Aucune loi ne sera obligatoire pour les citoyens que du jour de la promulgation aux chefs- lieux des départements.
La promulgation de la loi a lieu ainsi qu'il suit : Au nom de la colonie française de Saint-Domingue, le gouverneur ordonne que la loi ci-dessus soit scellée, promulguée et exécutée dans toute la colonie.
Art. 22. - L’Assemblée centrale de Saint-Domingue est composée de deux députés par département, lesquels, pour être éligibles, devront être âgés de 30 ans au moins et avoir résidé cinq ans dans la colonie.
Art. 23. - L’Assemblée est renouvelée tous les deux ans par moitié ; nul ne peut être membre pendant six années consécutives. L'élection a lieu ainsi : les administrations municipales nomment, tous les deux ans, au 10 ventôse (1er mars), chacune un député, lesquels se réunissent, dix jours après, aux chefs-lieux de leurs départements respectifs, où ils forment autant d’assemblées électorales départementales qui nomment chacune un député à l'Assemblée centrale.
La prochaine élection aura lieu au 10 ventôse de la onzième année de la République française (la mars 1803). En cas de décès, démission ou autrement d’un ou de plusieurs membres de l’Assemblée, le gouverneur pourvoit à leur remplacement.
Il désigne également les membres de l’Assemblée centrale actuelle qui, à l'époque du premier renouvellement, devront rester membres de l’Assemblée pour deux autres années.
Art. 24. - L’Assemblée centrale vote l’adoption ou le rejet des lois qui lui sont proposées par le gouverneur ; elle exprime son vote sur les règlements faits et sur l’application des lois déjà faites, sur les abus à corriger, sur les améliorations à entreprendre dans toutes les parties du service de la colonie.
Art. 25. - La session commence chaque année le 1er germinal (22 mars) et ne peut excéder la durée de trois mois. Le gouverneur peut la convoquer extraordinairement ; les séances ne sont pas publiques. Art. 26. - Sur les états de recettes et de dépenses qui lui sont présentés par le gouverneur, l’Assemblée centrale détermine, s'il y a lieu, l'assiette, la quotité, la durée et le mode de perception de l’impôt, son accroissement ou sa diminution ; ces états seront sommairement imprimés.
TITRE VIII. Du Gouvernement.
Art. 27. - Les rênes administratives de la colonie sont confiées à un gouverneur qui correspond directement avec le gouvernement de la métropole, pour tout ce qui est relatif aux intérêts de la colonie. Art. 28. - La Constitution nomme gouverneur le citoyen Toussaint-Louverture, général en chef de l’armée de Saint-Domingue, et, en considération des importants services qu’il a rendus à la colonie, dans les circonstances les plus critiques de la révolution, et sur le vœu des habitants reconnaissants, les rênes lui en sont confiées pendant le reste de sa glorieuse vie.
Art. 29. - À l’avenir, chaque gouverneur sera nommé pour cinq ans, et pourra être continué tous les cinq ans en raison de sa bonne administration.
Art. 30. - Pour affermir la tranquillité que la colonie doit à la fermeté, à l'activité, au zèle infatigable et aux vertus rares du général Toussaint-Louverture, et en signe de la confiance illimitée des habitants de Saint-Domingue, la Constitution attribue exclusivement à ce général le droit de choisir le citoyen qui, au malheureux événement de sa mort, devra immédiatement le remplacer. Ce choix sera secret ; il sera consigné dans un paquet cacheté qui ne pourra être ouvert que par l'Assemblée centrale, en présence de tous les généraux de l’armée de Saint-Domingue en activité de services et des commandants en chef des départements.
Le général Toussaint-Louverture prendra toutes les mesures de précaution nécessaires pour faire connaître à l'Assemblée centrale le lieu du dépôt de cet important paquet.
Art. 31. - Le citoyen qui aura été choisi par le général Toussaint-Louverture pour prendre à sa mort les rênes du gouvernement, prêtera, entre les mains de l’Assemblée centrale, le serment d’exécuter la Constitution de Saint-Domingue et de rester attaché au gouvernement français, et sera immédiatement installé dans ses fonctions ; le tout en présence des généraux de l’armée en activité de service et des commandants en chef de départements, qui tous, individuellement et sans désemparer, prêteront entre les mains du nouveau gouverneur le serment d’obéissance à ses ordres.
Art. 32. - Un mois au plus tard avant l'expiration des cinq ans fixés pour l'administration de chaque gouverneur, celui qui sera en fonctions convoquera l’Assemblée centrale et la réunion des généraux de l'armée en activité et des commandants en chef des départements, au lieu ordinaire des séances de l'Assemblée centrale, à l’effet de nommer, concurremment avec les membres de cette Assemblée, le nouveau gouverneur ou continuer celui qui est en fonctions.
Art. 33. - Le défaut de convocation de la part du gouverneur en fonctions est une infraction manifeste à la Constitution. Dans ce cas, le général le plus élevé en grade, ou le plus ancien à grade égal, qui se trouve en activité de service dans la colonie, prend, de droit, et provisoirement, les rênes du gouvernement.
Ce général convoque immédiatement les autres généraux en activité, les commandants en chef de départements et les membres de l'Assemblée centrale, qui tous sont tenus d'obéir à la convocation, à l’effet de procéder concurremment à la nomination d'un nouveau gouverneur.
En cas de décès, démission ou autrement d'un gouverneur avant l'expiration de ses fonctions, le gouvernement passe de même provisoirement entre les mains du général le plus élevé en grade, ou le plus ancien à grade égal, lequel convoque, aux mêmes fins que ci-dessus, les membres de l'Assemblée centrale, les généraux en activité de service et les commandants en chef de départements.
Art. 34. - Le gouverneur scelle et promulgue les lois ; il nomme à tous les emplois civils et militaires. Il commande en chef la force armée et est chargé de son organisation ; les bâtiments de l’État en station dans les ports de la colonie reçoivent ses ordres.
Il détermine la division du territoire de la manière la plus conforme aux relations intérieures. Il veille et pourvoit, d’après les lois, à la sûreté intérieure et extérieure de la colonie, et, attendu que l'état de guerre est un état d’abandon et de malaise et de nullité pour la colonie, le gouverneur est chargé de prendre dans ces circonstances les mesures qu’il croit nécessaires pour assurer à la colonie les subsistances et approvisionnements de toute espèce.
Art. 35. - Il exerce la police générale des habitants et des manufactures, et fait observer les obligations des propriétaires, fermiers, de leurs représentants envers les cultivateurs et ouvriers, et les devoirs des cultivateurs envers les propriétaires, fermiers ou leurs représentants.
Art. 36. - Il fait à l’Assemblée centrale la proposition de la loi, de même que tel changement à la Constitution que l’expérience pourra nécessiter.
Art. 37. - Il dirige, surveille la perception, le versement et l’emploi des finances de la colonie, et donne, à cet effet, tous les ordres quelconques.
Art. 38. - Il présente, tous les deux ans, à l’Assemblée centrale les états des recettes et des dépenses de chaque département, année par année.
Art. 39. - Il surveille et censure, par la voie de des commissaires, tout écrit destiné à l’impression dans l’île ; il fait supprimer tous ceux venant de l’étranger qui tendraient à corrompre les mœurs ou à troubler de nouveau la colonie, il en fait punir les auteurs ou colporteurs, suivant la gravité du cas.
Art. 40. - Si le gouverneur est informé qu’il se trame quelque conspiration contre la tranquillité de la colonie, il fait aussitôt arrêter les personnes qui en sont présumées les auteurs, fauteurs ou complices ; après leur avoir fait subir un interrogatoire extrajudiciaire, il les fait traduire, s’il y a lieu, devant un tribunal compétent.
Art. 41. - Le traitement du gouverneur est fixé, quant à présent, à 300,000 francs. Sa garde d’honneur est aux frais de la colonie.
TITRE IX. Des Tribunaux.
Art. 42. - Il ne peut être porté atteinte au droit qu’ont les citoyens de se faire juger amiablement par des arbitres à leur choix.
Art. 43. - Aucune autorité ne peut suspendre ni empêcher l’exécution des jugements rendus par les tribunaux.
Art. 44. - La justice est administrée dans la colonie par des tribunaux de première instance et des tribunaux d'appel. La loi détermine l'organisation des uns et des autres, leur nombre, leur compétence et le territoire formant le ressort de chacun.
Ces tribunaux, suivant leur degré de juridiction, connaissent toutes les affaires civiles et criminelles. Art. 45. - Il y a pour la colonie un tribunal de cassation, qui prononce sur les demandes en cassation contre les jugements rendus par les tribunaux d’appel, et sur les prises à partie contre un tribunal entier. Ce tribunal ne connaît point du fond des affaires, mais il casse les jugements rendus sur des procédures dans lesquelles les formes ont été violées, ou qui contiennent quelque contravention expresse à la loi, et il renvoie le fond du procès au tribunal qui doit en connaître.
Art. 46. - Les juges de ces divers tribunaux conservent leurs fonctions toute leur vie, à moins qu'ils ne soient condamnés pour forfaiture. Les commissaires du gouvernement peuvent être révoqués.
Art. 47. - Les délits des militaires sont soumis à des tribunaux, et à des formes particulières de jugement.
Ces tribunaux spéciaux connaissent aussi des vols et enlèvements quelconques, de la violation d'asile, des assassinats, des meurtres, des incendies, du viol, des conspirations et révoltes.
Leur organisation appartient au gouverneur de la colonie.
TITRE X. Des Administrations municipales.
Art. 48. - Dans chaque paroisse de la colonie, il y a une administration municipale ; dans celle où est placé un tribunal de première instance, l’administration municipale est composée d'un maire et de quatre administrateurs.
Le commissaire du gouvernement près le tribunal remplit gratuitement les fonctions de commissaire près l'administration municipale.
Dans les autres paroisses, les administrations municipales sont composées d'un maire et de deux administrateurs, et les fonctions de commissaire près elles sont remplies gratuitement par les substituts du commissaire près le tribunal d'où relèvent ces paroisses.
Art. 49. - Les membres des administrations municipales sont nommés pour deux ans ; ils peuvent être toujours continués. Leur nomination est dévolue au gouvernement qui, sur une liste de seize personnes au moins, qui lui est présentée par chaque administration municipale, choisit les personnes les plus propres à gérer les affaires de chaque paroisse.
Art. 50. - Les fonctions des administrations municipales consistent dans l'exercice de la simple police des villes et bourgs, dans l'administration des deniers provenant des revenus des biens de fabrique et des impositions additionnelles des paroisses. Elles sont, en outre, spécialement chargées de la tenue des registres des naissances, mariages et décès.
Art. 51.- Les maires exercent des fonctions particulières que la loi détermine.
TITRE XI. De la Force Armée.
Art. 52. - La force armée est essentiellement obéissante, elle ne peut jamais délibérer ; elle est à la disposition du gouverneur, qui ne peut la mettre en mouvement que pour le maintien de l'ordre public, la protection due à tous les citoyens et la défense de la colonie.
Art. 53. - Elle se divise en garde coloniale soldée et en garde coloniale non soldée.
Art. 54. - La garde coloniale non soldée ne sort des limites de sa paroisse que dans le cas d'un danger imminent, et sur l'ordre et sous la responsabilité personnelle du commandant militaire ou de place. Hors des limites de la paroisse elle devient soldée, et soumise, dans ce cas, à la discipline militaire, et dans tout autre, elle n'est soumise qu’à la loi.
Art. 55. - La gendarmerie coloniale fait partie de la force armée ; elle se divise en gendarmerie à cheval et en gendarmerie à pied. La gendarmerie à cheval est instituée pour la haute police et la sûreté des campagnes ; elle est à la charge du trésor de la colonie.
La gendarmerie à pied est instituée pour la police et bourgs ; elle est à la charge des villes et bourgs où elle fait son service.
Art. 56. - L'armée se recrute sur la proposition, qu'en fait le gouverneur à l'Assemblée centrale, et suivant le mode établi par la loi.
TITRE XII. Des Finances, des Biens domaniaux séquestrés et vacants.
Art. 57. - Les finances de la colonie se composent : 1) des droits d'importation, de pesage et de jaugeage ; 2) des droits sur la valeur locative des maisons des villes et bourgs, et ceux sur les produits des manufactures, autres que celles de culture, et sur celui des salines ; 3) du revenu des bacs et postes ; 4) des amendes, confiscations et épaves ; 5) du droit de sauvetage sur bâtiments naufragés ; 6) du revenu des domaines coloniaux.
Art. 58. - Le produit des fermages des biens séquestrés sur les propriétaires absents et non représentés fait partie provisoirement du revenu public de la colonie et est appliqué aux dépenses d’administration.
Les circonstances détermineront les lois qui pourront être faites relativement à la dette publique arriérée, et aux fermages des biens séquestrés perçus par l'administration dans un temps antérieur à la promulgation de la présente constitution, et à l’égard de ceux qui auront été perçus, dans un temps antérieur à la promulgation de la présente constitution, et à l'égard de ceux qui auront été perçus, dans un temps postérieur, ils seront exigibles et remboursés dans l’année qui suivra la levée du séquestre du bien.
Art. 59. - Les fonds provenant de la vente du mobilier et du prix des fermages des successions vacantes, ouvertes dans la colonie sous le gouvernement français, depuis 1789, seront versés dans une caisse particulière, et ne seront disponibles, et les immeubles réunis aux domaines coloniaux que deux ans après la publication de la paix dans l’île, entre la France et les puissances maritimes ; bien entendu que ce délai n'est relatif qu'aux successions dont le délai de cinq ans fixé par l’édit de 1781 serait expiré ; et à l’égard de celles ouvertes à des époques rapprochées de la paix, elles ne pourront être disponibles et réunies qu'à l’expiration de sept années.
Art. 60. - Les étrangers succédant en France à leurs parents étrangers ou français leur succéderont également à Saint-Domingue ; ils pourront contracter, acquérir et recevoir des biens situés dans la colonie, et en disposer de même que les Français par tous les moyens autorisés par les lois.
Art. 61. - Le mode de perception et administration des finances des biens domaniaux séquestrés et vacants sera déterminé par les lois.
Art. 62. - Une commission temporaire de comptabilité règle et vérifie les comptes de recettes et de dépenses de la colonie ; cette commission est composée de trois membres, choisis et nommés par le gouverneur.
TITRE XIII. Dispositions générales.
Art. 63. - La maison de toute personne est un asile inviolable. Pendant la nuit, nul n’a le droit d'y entrer que dans le cas d'incendie, d'inondation ou de réclamation de l'intérieur. Pendant le jour, on peut y entrer pour un objet spécial déterminé ou, par une loi, ou par un ordre émané de l'autorité publique.
Art. 64. - Pour que l’acte qui ordonne l'arrestation d'une personne puisse être exécuté, il faut : 1 qu'il exprime formellement le motif de l'arrestation et la loi en vertu de laquelle elle est ordonnée ; 2 qu'il émane d’un fonctionnaire à qui la loi ait formellement donné le pouvoir de le faire ; 3 qu'il soit donné copie de l'ordre à la personne arrêtée.
Art. 65. - Tous ceux qui, n'ayant point reçu de la loi le pouvoir de faire arrêter, donneront, signeront, exécuteront ou feront exécuter l'arrestation d'une personne, seront coupables du crime de détention arbitraire.
Art. 66. - Toute personne a le droit d’adresser des pétitions individuelles à toute autorité constituée, et spécialement au gouverneur.
Art. 67. - Il ne peut être formé, dans la colonie, de corporations ni d’associations contraires à l'ordre public.
Aucune assemblée de citoyens ne peut se qualifier de société populaire. Tout rassemblement séditieux doit être sur le champ dissipé, d'abord par voie de commandement verbal et, s’il est nécessaire, par le développement de la force armée.
Art. 68. - Toute personne a la faculté de former des établissements particuliers d'éducation et d’instruction pour la jeunesse sous l’autorisation et la surveillance des administrations municipales.
Art. 69. - La loi surveille particulièrement les professions qui intéressent les mœurs publiques, la sûreté, la santé et la fortune des citoyens.
Art. 70. - La loi pourvoit à la récompense des inventeurs de machines rurales, ou au maintien de la propriété exclusive de leurs découvertes.
Art. 71. - Il y a dans toute la colonie uniformité de poids et de mesures.
Art. 72. - Il sera, par le gouverneur, décerné, au nom de la colonie, des récompenses aux guerriers qui auront rendu des services éclatants en combattant pour la défense commune.
Art. 73. - Les propriétaires absents, pour quelque cause que ce soit, conservent tous leurs droits sur les biens à eux appartenant et situés dans la colonie ; il leur suffira, pour obtenir la main-levée du séquestre qui y aurait été posé, de représenter leurs titres de propriété et, à défaut de titres, des actes supplétifs dont la loi détermine la formule. Sont néanmoins exceptés de cette disposition ceux qui auraient été inscrits et maintenus sur la liste générale des émigrés de France ; leurs biens, dans ce cas, continueront d'être administrés comme domaines coloniaux jusqu'à leur radiation.
Art. 74. - La colonie proclame, comme garantie de la loi publique, que tous les baux des biens affermés légalement par l'administration auront leur entier effet, si les adjudicataires n'aiment mieux transiger avec les propriétaires ou leurs représentants qui auraient obtenu la main-levée de leur séquestre.
Art. 75. - Elle proclame que c'est sur le respect des personnes et des propriétés que reposent la culture des terres, toutes les productions, tout moyen de travail et tout ordre social.
Art. 76. - Elle proclame que tout citoyen doit ses services au sol qui le nourrit ou qui l'a vu naître, au maintien de la liberté de l'égalité, de la propriété, toutes les fois que la loi l'appelle à les défendre.
Art. 77. - Le général en chef Toussaint-Louverture est et demeure chargé d’envoyer la présente Constitution à la sanction du gouvernement français ; néanmoins, et vu l'absence des lois, l’urgence de sortir de cet état de péril, la nécessité de rétablir promptement les cultures et le vœu unanime bien prononcé des habitants de Saint-Domingue, le général en chef est et demeure invité, au nom du bien public, à la faire mettre à exécution dans toute l’étendue du territoire de la colonie.
Fait au Port-Républicain, le 19 floréal an IX de la République française une et indivisible.
Signé : Borgella, président, Raymond, Collet, Gaston Nogérée, Lacour, Roxas, Munos, Mancebo, E. Viart, secrétaire.
Après avoir pris connaissance de la Constitution, je lui donne mon approbation. L'invitation de l'Assemblée centrale est un ordre pour moi ; en conséquence, je la ferai passer au gouvernement français pour obtenir sa sanction ; quant à ce qui regarde son exécution dans la colonie, le vœu exprimé par l’Assemblée centrale sera également rempli et exécuté.
Donné au Cap-Français, le 14 messidor an IX de la République française une et indivisible.
Le général en chef : Signé : Toussaint Louverture
Annexe 16. Les colonies dans les constitutions françaises.⚓
Annexe 16.3.1. Constitution du 5 fructidor an III (22 août 1795)⚓
Titre premier. Division du territoire
Article 6. Les colonies françaises sont parties intégrantes de la République, et sont soumises à la même loi constitutionnelle.
Article 7. Elles sont divisées en départements, ainsi qu'il suit :
l'île de Saint-Domingue, dont le corps législatif déterminera la division en quatre départements au moins, et en six au plus ;
la Guadeloupe, Marie-Galante, la Désirade, les Saintes, et la partie française de Saint-Martin ;
la Martinique ;
la Guyane française et Cayenne ;
Sainte-Lucie et Tabago ;
l'île de France, les Séchelles, Rodrigue, et les établissements de Madagascar ;
l'île de la Réunion ;
les Indes-Orientales, Pondichéri, Chandernagor, Mahé, Karical et autres établissements.
Titre VI. Pouvoir exécutif
Article 155. Tous les fonctionnaires publics dans les colonies françaises, excepté les départements des îles de France et de la Réunion, seront nommés par le directoire jusqu'à la paix.
Titre XI. Finances. Contributions
Article 314. Le corps législatif détermine les contributions des colonies et leurs rapports commerciaux avec la métropole.
Annexe 16.3.2. Constitution du 22 Frimaire An VIII (13 décembre 1799)⚓
Article 91. - Le régime des colonies françaises est déterminé par des lois spéciales.
Source : [https://mjp.univ-perp.fr/france/]
Anne 16.3.3. Constitution de l'an X (1802). Sénatus-consulte organique de la Constitution du 16 thermidor an X (4 août 1802.)⚓
Titre V Du Sénat
Article 54. - Le Sénat règle par un sénatus-consulte organique, 1° la constitution des colonies ; 2° tout ce qui n'a pas été prévu par la Constitution, et qui est nécessaire à sa marche ; 3° il explique les articles de la Constitution qui donnent lieu à différentes interprétations.
Annexe 17. « Notes pour servir aux instructions à donner au capitaine général Leclerc »⚓
Source : in Leclerc Charles Victor Emmanuel, Lettres du général Leclerc, commandant en chef de l’armée de Saint-Domingue en 1802, éd. P. Roussier, Paris, Société de l’histoire des colonies françaises/Ernest Leroux, 1937, pp. 268-269. Voir aussi « Les instructions à donner au général en chef capitaine général Leclerc », in Napoléon Bonaparte, Correspondance générale, T. 3 Pacifications 1800-1802, Paris, Fayard, 2006, pp. 837-843.
Annexe 18. « Proclamation aux habitants de Saint-Domingue », 17 brumaire an X / 8 novembre 1801 ; « Au général Toussaint Louverture », 27 brumaire an X / 18 novembre 1801⚓
Source : « Proclamation aux habitants de Saint-Domingue », 17 brumaire an X / 8 novembre 1801 ; « Au général Toussaint Louverture », 27 brumaire an X / 18 novembre 1801, extrait, in Correspondance de Napoléon Ier. Tome 7 / publiée par ordre de l'Empereur Napoléon III, Paris, Henri Plon / J. Dumaine, 1861, tome 7, pp. 315 et 322-324.
Annexe 19. « St. Domingue: Prise De La Ravine Aux Couleuvres. » (23 février 1802)⚓
Source : Karl Girardet, gravé par Jean-Jacques Outhwaite, « St. Domingue: Prise De La Ravine Aux Couleuvres. » (23 février 1802), in Lanfrey Pierre, The history of Napoleon the First, London / New York, Macmillan and Co., 1871-1879, vol. 2, part 1, opp. p. 146 [https://digital.library.mcgill.ca/napoleon/search/large.php?ID=1700&language=English&doctype=Prints]. La gravure a été reprise, en noir et blanc et en couleurs, dans de nombreuses publications, entre autres dans le Manuel d’histoire d’Haïti de Justin Chrysostome Dorsainvil, Port-au-Prince, H. Deschamps, 1934 [https://issuu.com/scduag/docs/pap11077] ou comme première de couverture pour les éditions américaine et française de Philippe R. Girard, The Slaves who Defeated Napoleon : Toussaint Louverture and the Haitian War of Indépendance (1801-1804), University of Alabama Press, 2011, Ces esclaves qui ont vaincu Napoléon : Toussaint Louverture et la guerre d'indépendance haïtienne (1801-1804), Les Perséides, 2012.
Annexe 20. Plan de la Crête à Pierrot et de ses environs, 1802⚓
Source : Plan de la Crête à Pierrot et de ses environs, 1802 [téléchargeable sur Gallica]. Voir aussi Victoires, conquêtes, désastres, revers et guerres civiles des Français, de 1792 à 1815 par une société de militaires et de gens de lettres, Paris, C.L.F. Panckoucke, 1819 volume 14, « Précis de l’expédition de Saint-Domingue » (1802-1803), pp. 228-332 où figure page 287 « Le plan des attaques de la Crête-à-Pierrot » [téléchargeable sur Gallica].
Annexe 21. Combat et prise de la Crête-à-Pierrot (4 - 24 mars 1802)⚓
Source : Combat et prise de la Crête-à-Pierrot (4 - 24 mars 1802). Gravure sur bois originale dessinée par Auguste Raffet, gravée par Hébert, in Norvins, Jacques Marquet de Montbreton, Histoire de Napoléon, Paris, Furne, 1839, p. 239 [disponible sur Internet, domaine public, en noir et blanc et couleurs].
Annexe 22. Loi Relative à la traite des Noirs et au régime des Colonies, Du 30 Floréal, an X de la République une et indivisible (20 mai 1802)⚓
Source : Loi Relative à la traite des Noirs et au régime des Colonies, Du 30 Floréal, an X de la République une et indivisible (20 mai 1802), Archives nationales d'outre-mer [http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/anom/fr/], voir aussi Bulletin des lois de la République française, 3ème série, Tome sixième, Contenant les Lois et Arrêtés rendus pendant le second semestre de l'an X, Paris, Imprimerie nationale des lois, 1802-07-01, pp. 339-330 [téléchargeable sur Gallica].
Annexe 23. La Crête à Pierrot⚓
Source : La Crête à Pierrot, in Descourtilz Michel Etienn, Voyages d'un naturaliste, et ses observations : faites sur les trois règnes de la nature, dans plusieurs ports de mer français, en Espagne, au continent de l'Amérique Septentrionale, à Saint-Yago de Cuba, et à St.-Domingue, où l'auteur devenu le prisonnier de 40,000 Noirs révoltés, et par suite mis en liberté par une colonne de l'armée française, donne des détails circonstanciés sur l'expédition du général Leclerc, Paris, Dufart, 1809 [en ligne]. Jacques Boulenger (ed.), Paris, Plon, 1935, Tome 3, pp. 359-360.
Annexe 24. François-Joseph-Pamphile de Lacroix, Mémoires pour servir à l’histoire de la révolution de Saint-Domingue⚓
Les mornes du Cahos sont un groupe de montagnes sur la rive droite de l’Artibonite. Ils ont des versants dans la partie de l’Est (partie espagnole) et dans les départemens du Nord et de l’Ouest. Tous leurs débouchés sont susceptibles de défense : l’entrée principale de ces mornes était couverte par la Crêt-à-Pierrot, redoute fermée, construite par les Anglais dans le tems qu’ils avaient envahi l’Ouest.
Le capitaine-général Leclerc, après avoir laissé en observation, dans le Nord, la division Desfournaux, mobilisa le reste de son armée.
Le 11 ventôse (2 mars 1802) les divisions Hardy et Rochambeau marchèrent pour entrer dans les Cahos.
[…] Pendant que nous opérions l’investissement du fort, la musique des ennemis faisait entendre des airs patriotiques adaptés à la gloire de la France.
Malgré l’indignation qu’excitaient les atrocités des noirs, ces airs produisaient généralement un sentiment pénible. Les regards de nos soldats interrogeaient les nôtres ; ils avaient l’air de nous dire : « Nos barbares ennemis auraient-ils raison ? Ne serions-nous plus les soldats de la république ? et serions-nous devenus les instrumens serviles de la politique ? »
170 […] La retraite qu’osa concevoir et exécuter le commandant de la Crête-à-Pierrot est un fait d’armes remarquable. Nous entourions son poste de plus de douze mille hommes ; il se sauva, ne perdit pas la moitié de sa garnison, et ne nous laissa que ses morts et ses blessés. Cet homme était un quarteron à qui la nature avait donné une ame de la plus forte trempe ; c’était le chef de brigade Lamartinière, le même qui s’était mis à la tête de la résistance du Port-au-Prince […].
Source : François-Joseph-Pamphile de Lacroix, Mémoires pour servir à l’histoire de la révolution de Saint-Domingue, Paris, Pillet, 2 vol., tome 2, 1819, pp. 149-170.
Annexe 25. Charles Victor Emmanuel Leclerc, Lettres du général Leclerc, commandant en chef de l'armée de Saint-Domingue en 1802⚓
Source : Charles Victor Emmanuel Leclerc, Lettres du général Leclerc, commandant en chef de l'armée de Saint-Domingue en 1802, Paul Roussier, Paris, Société de l'histoire des colonies françaises, Ernest Leroux, 1937 [https://issuu.com/scduag/docs/nan13043].
Annexe 26. Haiti’s Declaration of Independence: Digging for Lost Documents in the Archives of the Atlantic World⚓
Source : Gaffield Julia, Haiti’s Declaration of Independence: Digging for Lost Documents in the Archives of the Atlantic World, 2014 [https://theappendix.net/issues/2014/1/haitis-declaration-of-independence-digging-for-lost-documents-in-the-archives-of-the-atlantic-world].
Annexe 27. Constitution de 1805⚓
Nous, Henry Christophe, Clervaux, Vernet, Gabart, Pétion, Geffrard, Toussaint Brave, Raphaël, Lalondrie, Romain, Capoix, Magny, Cangé, Daut, Magloire Ambroise, Yayou, Jean-Louis François, Gérin, Moreau, Férou, Bazelais, Martial Besse,
Tant en notre nom particulier, qu'en celui du peuple d'Haïti qui nous a légalement constitués les organes fidèles et les interprètes de sa volonté,
En présence de l'Être Suprême, devant qui les mortels sont égaux, et qui n'a répandu tant d'espèces de créatures différentes sur la surface du globe, qu'aux fins de manifester sa gloire et sa puissance, par la diversité de ses oeuvres,
En face de la nature entière dont nous avons été si injustement et depuis si longtemps considérés comme les enfants réprouvés,
Déclarons que la teneur de la présente Constitution est l'expression libre, spontanée et invariable de nos cœurs et de la volonté générale de nos constituants,
La soumettons à la sanction de Sa Majesté l'empereur Jacques Dessalines, notre libérateur, pour recevoir sa prompte et entière exécution.
Déclaration préliminaire.
Article premier. Le peuple habitant l'île ci-devant appelée Saint-Domingue, convient ici de se former en État libre, souverain et indépendant de toute autre puissance de l'univers, sous le nom d'Empire d'Haïti.
Article 2. L'esclavage est à jamais aboli.
Article 3. Les citoyens haïtiens sont frères entre eux ; l'égalité aux yeux de la loi est incontestablement reconnue, et il ne peut exister d'autre titre, avantages ou privilèges, que ceux qui résultent nécessairement de la considération et en récompense des services rendus à la liberté et à l'indépendance.
Article 4. La loi est une pour tous, soit qu'elle punisse, soit qu'elle protège.
Article 5. La loi n'a point d'effet rétroactif.
Article 6. La propriété est sacrée, sa violation sera rigoureusement poursuivie.
Article 7. La qualité de citoyen d'Haïti se perd par l'émigration et par la naturalisation en pays étranger, et par la condamnation à des peines afflictives et infamantes. Le premier cas emporte la peine de mort et la confiscation des propriétés.
Article 8. La qualité de citoyen haïtien est suspendue par l'effet des banqueroutes et faillites.
Article 9. Nul n'est digne d'être Haïtien, s'il n'est bon père, bon fils, bon époux, et surtout bon soldat
Article 10. La faculté n'est point accordée aux pères et mères de déshériter leurs enfants.
Article 11. Tout citoyen doit posséder un art mécanique
Article 12. Aucun blanc, quelle que soit sa nation, ne mettra le pied sur ce territoire, à titre de maître ou de propriétaire et ne pourra à l'avenir y acquérir aucune propriété.
Article 13. L'article précédent ne pourra produire aucun effet tant à l'égard des femmes blanches qui sont naturalisées haïtiennes par le gouvernement, qu'à l'égard des enfants nés ou à naître d'elles. Sont compris dans les dispositions du présent article, les Allemands et Polonais naturalisés par le gouvernement.
Article 14. Toute acception de couleur parmi les enfants d'une seule et même famille, dont le chef de l'État est le père, devant nécessairement cesser, les Haïtiens ne seront désormais connus que sous la dénomination génériques de Noirs.
De l'Empire.
Article 15. L'Empire d'Haïti est un et indivisible ; son territoire est distribué en six divisions militaires.
Article 16. Chaque division militaire sera commandée par un général de division
Article 17. Chacun de ces généraux de division sera indépendant des autres, et correspondra directement avec l'empereur ou avec le général en chef nommé par Sa Majesté.
Article 18. Sont parties intégrantes de l'Empire les îles ci-après désignées : Samana, la Tortue, la Gonâve, les Cayemites, l'île à Vache, la Saône, et autres îles adjacentes.
Du Gouvernement.
Article 19. Le gouvernement d'Haïti est confié à un premier magistrat qui prend le titre d'empereur et Chef suprême de l'armée.
Article 20. Le peuple reconnait pour Empereur et Chef suprême de l'armée, Jacques Dessalines, le vengeur et le libérateur de ses concitoyens ; on le qualifie de Majesté ainsi que son auguste épouse l'impératrice.
Article 21. La personne de Leurs Majestés est sacrée et inviolable.
Article 22. L'État accordera un traitement fixe à Sa Majesté l'impératrice dont elle jouira même après le décès de l'empereur, à titre de princesse douairière.
Article 23. La couronne est élective et non héréditaire.
Article 24. Il sera affecté, par l'État, un traitement annuel aux enfants reconnus par Sa Majesté l'empereur.
Article 25. Les enfants mâles reconnus par l'empereur seront tenus, à l'instar des autres citoyens, de passer successivement de grade en grade, avec cette seule différence que leur entrée au service datera dans la quatrième demi-brigade de l'époque de leur naissance.
Article 26. L'Empereur désigne son successeur et de la manière qu'il le juge convenable, soit avant, soit après sa mort.
Article 27. Un traitement convenable sera fixé par l'État à ce successeur, au moment de son avènement au trône.
Article 28. L'Empereur, ni aucun de ses successeurs, n'aura le droit, dans aucun cas, et sous quelque prétexte que ce soit, de s'entourer d'un corps particulier et privilégié à titre de garde d'honneur, ou sous toute autre dénomination.
Article 29. Tout successeur qui s'écartera des dispositions du précédent article ou de la marche qui lui aura été tracée par l'empereur régnant, ou des principes consacrés par la présente Constitution, sera considéré et déclaré en état de guerre contre la société. En conséquence, les conseillers d'État s'assembleront, à l'effet de prononcer sa destitution, et de pourvoir à son remplacement par celui d'entre eux qui en aura été jugé le plus digne, et s'il arrivait que ledit successeur voulût s'opposer à l'exécution de cette mesure, autorisée par la loi, les généraux conseillers d'État feront un appel au peuple et à l'armée, qui de suite leur prêteront main-forte et assistance pour maintenir la liberté.
Article 30. L'Empereur fait, scelle et promulgue les lois, nomme et révoque, à sa volonté, les ministres, le général en chef de l'armée, les conseillers d'État, les généraux et autres agents de l'Empire, les officiers de l'armée de terre et de mer, les membres des administrations locales, les commissaires du gouvernement près les tribunaux, les juges et autres fonctionnaires publics.
Article 31. L'Empereur dirige les recettes et dépenses de l'État, surveille la fabrication des monnaies ; lui seul en ordonne l'émission, en fixe le poids et le type.
Article 32. A lui seul est réservé le pouvoir de faire la paix ou la guerre, d'entretenir des relations politiques et de contracter au dehors.
Article 33. Il pourvoit à la sûreté intérieure et à la défense de l'État, distribue les forces de terre et de mer suivant sa volonté.
Article 34. L'Empereur, dans le cas où il se tramerait quelque conspiration contre la sûreté de l'État, contre la Constitution ou contre sa personne, fera de suite arrêter les auteurs ou complices, qui seront jugés par un conseil spécial.
Article 35. Sa Majesté seule a le droit d'absoudre un coupable ou de commuer sa peine.
Article 36. L'Empereur ne formera jamais aucune entreprise dans la vue de faire des conquêtes ni de troubler la paix et le régime intérieur des colonies étrangères.
Article 37. Tout acte public sera fait en ces termes : « L'Empereur d'Haïti et le chef suprême de l'armée, par la grâce de de Dieu et la loi constitutionnelle de l'État. »
Du Conseil d'État.
Article 38. Les généraux de division et de brigade sont membres-nés du conseil d'État et le composent.
Des ministres.
Article 39. Il y aura dans l'Empire deux ministres et un secrétaire d'État :
Le ministre des finances ayant le département de l'intérieur ;
Le ministre de la guerre ayant le département de la marine.
Article 40. Du ministre des finances et de l'intérieur. Du ministre des finances et de l'intérieur : Les attributions de ce ministre comprennent l'administration générale du Trésor public, l'organisation des administrations particulières, la distribution des fonds à mettre à la disposition du ministre de la guerre et autres fonctionnaires, les dépenses publiques, les instructions qui règlent la comptabilité des administrations et des payeurs de division, l'agriculture, le commerce, l'instruction publique, les poids et mesures, la formation des tableaux de population, les produits territoriaux, les domaines nationaux, soit pour la conservation, soit pour la vente, les baux à ferme, les prisons, les hôpitaux, l'entretien des routes, les bacs, salines, manufactures, les douanes, enfin la surveillance et la fabrication des monnaies, l'exécution des lois et arrêtés du gouvernement à ce sujet.
Article 41. Du ministre de la guerre et de la marine : Les fonctions de ce ministre embrassent la levée, l'organisation, l'inspection, la surveillance, la discipline, la police et le mouvement des armées de terre et de mer, le personnel et le matériel de l'artillerie et du génie, les fortifications, les forteresses, les poudres et salpêtres, l'enregistrement des actes et arrêtés de l'empereur, leur renvoi aux armées et la surveillance de leur exécution ; il veille spécialement à ce que les décisions de l'empereur parviennent promptement aux militaires ; il dénonce aux conseils spéciaux les délits militaires parvenus à sa connaissance et surveille les commissaires de guerre et officiers de santé.
Article 42. Les ministres sont responsables de tous les délits par eux commis contre la sûreté publique et la Constitution, de tout attentat à la propriété et à la liberté individuelle, de toute dissipation de deniers à eux confiés ; ils sont tenus de présenter, tous les trois mois, à l'empereur, l'aperçu des dépenses à faire, de rendre compte de l'emploi des sommes qui ont été mises à leur disposition, et d'indiquer les abus qui auraient pu se glisser dans les diverses branches de l'administration.
Article 43. Aucun ministre en place ou hors de place ne peut être poursuivi en matière criminelle, pour fait de son administration, sans l'adhésion personnelle de l'empereur.
Article 44. Du secrétaire d'État : Le secrétaire d'État est chargé de l'impression, de l'enregistrement et de l'envoi des lois, arrêtés, proclamations et instructions de l'empereur ; il travaille directement avec l'empereur pour les relations étrangères, correspond avec les ministres, reçoit de ceux-ci les requêtes, pétitions et autres demandes qu'il soumet à l'empereur, de même que les questions qui lui sont proposées par les tribunaux ; il renvoie aux ministres les jugements et les pièces sur lesquels l'empereur a statué.
Des tribunaux.
Article 45. Nul ne peut porter atteinte au droit qu'a chaque individu de se faire juger à l'amiable par des arbitres à son choix. Leurs décisions seront reconnues légales.
Article 46. Il y aura un juge de paix dans chaque commune ; il ne pourra connaître d'une affaire s'élevant au delà de cent gourdes, et lorsque les parties ne pourront se concilier à son tribunal, elles se pourvoiront par-devant les tribunaux de leur ressort respectif.
Article 47. Il y aura six tribunaux séant dans les villes ci-après désignées : A Saint-Marc, au Cap, au Port-au-Prince, aux Cayes, à l'Anse-à-Veau et au Port-de-Paix. L'Empereur détermine leur organisation, leur nombre, leur compétence et le territoire formant le ressort de chacun. Ces tribunaux connaissent de toutes les affaires purement civiles.
Article 48. Les délits militaires sont soumis à des conseils spéciaux et à des formes particulières de jugement. L'organisation de ces conseils appartient à l'empereur, qui prononcera sur les demandes en cassation contre les jugements rendus par lesdits conseils spéciaux.
Article 49. Des lois particulières seront faites pour le notariat et à l'égard des officiers de l'état civil.
Du culte.
Article 50. La loi n'admet pas de religion dominante.
Article 51. La liberté des cultes est tolérée.
Article 52. L'État ne pourvoit à l'entretien d'aucun culte ni d'aucun ministre.
De l'administration.
Article 53. Il y aura, dans chaque division militaire, une administration principale, dont l'organisation, la surveillance appartiennent essentiellement au ministre des finances.
Dispositions générales.
Article premier. A l'empereur et à l'impératrice appartiennent le choix, le traitement et l'entretien des personnes qui composent leur cour.
Article 2. Après le décès de l'empereur régnant, lorsque la révision de la Constitution aura été jugée nécessaire, le Conseil d'État s'assemblera à cet effet et sera présidé par le doyen d'âge.
Article 3. Les crimes de haute trahison, les délits commis par les ministres et les généraux, seront jugés par un conseil spécial nommé et présidé par l'empereur.
Article 4. La force armée est essentiellement obéissante, nul corps armé ne peut délibérer.
Article 5. Nul ne pourra être jugé sans avoir été légalement entendu.
Article 6. La maison de tout citoyen est un asile inviolable.
Article 7. On peut y entrer en cas d'incendie, d'inondation, de réclamation partant de l'intérieur, ou en vertu d'un ordre émané de l'empereur ou de toute autre autorité légalement constituée.
Article 8. Celui-là mérite la mort qui la donne à son semblable.
Article 9. Tout jugement portant peine de mort ou peine afflictive, ne pourra recevoir son exécution, s'il n'a été confirmé par l'empereur.
Article 10. Le vol est puni en raison des circonstances qui l'auront précédé, accompagné ou suivi.
Article 11. Tout étranger habitant le territoire d'Haïti sera, ainsi que les Haïtiens, soumis aux lois correctionnelles et criminelles du pays.
Article 12. Toute propriété qui aura ci-devant appartenu à un blanc français est incontestablement et de droit confisquée au profit de l'État.
Article 13. Tout Haïtien qui, ayant acquis une propriété d'un blanc français, n'aura payé qu'une partie du prix stipulé par l'acte de vente, sera responsable, envers les domaines de l'État, du reliquat de la somme due.
Article 14. Le mariage est un acte purement civil et autorisé par le gouvernement.
Article 15. La loi autorise le divorce dans les cas qu'elle a prévus et déterminés.
Article 16. Une loi particulière sera rendue concernant les enfants nés hors mariage.
Article 17. Le respect pour ses chefs, la subordination et la discipline sont rigoureusement nécessaires.
Article 18. Un code pénal sera publié et sévèrement observé.
Article 19. Dans chaque division militaire, une école publique sera établie pour l'instruction de la jeunesse.
Article 20. Les couleurs nationales sont noires et rouges.
Article 21. L'agriculture, comme le premier, le plus noble et le plus utile de tous les arts, sera honorée et protégée.
Article 22. Le commerce, seconde source de la prospérité des États, ne veut et ne connaît point d'entraves.
Il doit être favorisé et spécialement protégé.
Article 23. Dans chaque division militaire, un tribunal de commerce sera formé, dont les membres seront choisis par l'empereur, et tirés de la classe des négociants.
Article 24. La bonne foi, la loyauté dans les opérations commerciales seront religieusement observées.
Article 25. Le gouvernement assure sûreté et protection aux nations neutres et amies qui viendront entretenir avec cette île des rapports commerciaux, à la charge par elles de se conformer aux règlements, us et coutumes de ce pays.
Article 26. Les comptoirs, les marchandises des étrangers seront sous la sauvegarde et la garantie de l'État.
Article 27. Il y aura des fêtes nationales pour célébrer l'Indépendance, la fête de l'empereur et de son auguste Épouse, celle de l'Agriculture et de la Constitution.
Article 28. Au premier coup de canon d'alarme, les villes disparaissent et la nation est debout.
Nous, mandataires soussignés, mettons sous la sauvegarde des magistrats, des pères et mères de famille, des citoyens et de l'armée, le pacte explicite et solennel des droits sacrés de l'homme et des devoirs du citoyen ;
La recommandons à nos neveux, et en faisons hommage aux amis de la liberté, aux philanthropes de tous les pays, comme un gage signalé de la bonté divine, qui, par suite de ses décrets immortels, nous a procuré l'occasion de briser nos fers et de nous constituer en peuple libre, civilisé et indépendant.
Et avons signé, tant en notre nom privé qu'en celui de nos commettants.
Signé : H. Christophe, Clervaux, Vernet, Gabart, Pétion, Geffrard, Toussaint-Brave, Raphaël, Lalondrie, Romain, Capoix, Magny, Cangé, Daut, Magloire Ambroise, Yayou, Jean-Louis François, Gérin, Moreau, Férou, Bazelais, Martial Besse.
Présentée à la signature de l'Empereur, la Constitution de l'Empire fut sanctionnée par lui.
Vu la présente Constitution,
Nous, Jacques Dessalines, Empereur Ier d'Haïti et chef suprême de l'armée, par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle de l'État,
L'acceptons dans tout son contenu, et la sanctionnons, pour recevoir, sous le plus bref délai, sa pleine et entière exécution dans toute l'étendue de notre empire ;
Et jurons de la maintenir et de la faire observer dans son intégrité jusqu'au dernier soupir de notre vie.
Au Palais impérial de Dessalines, le 20 mai 1805, an II de l'Indépendance d'Haïti, et de notre règne le premier.
Signé : Dessalines.
Par l'Empereur :
Le Secrétaire général,
Signé : Juste Chanlatte.
Source : Constitution de 1805, in Janvier Louis-Joseph, Les constitutions d'Haïti (1801-1885), Paris, C. Marpon et E. Flammarion, 1886, pp. 30-41 [téléchargeable sur Gallica et https://mjp.univ-perp.fr/constit/ht1805.htm].